Chapitre 2

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▪ Alec ▪

Nous sommes samedi matin et ma nièce n'en fait déjà qu'à sa tête. J'ai fait l'erreur de lui interdire les cours de danse qu'elle réclame depuis maintenant deux ans. Chaque année, c'est la même rengaine. Elle commence par me servir un petit déjeuner au lit. Bon d'accord, cela consiste en des rôties... bien grillées et un lait froid, mais l'attention me fait toujours plaisir. Ensuite elle babille de tout et de rien, puis elle en vient au sujet qui la préoccupe : la danse.

En général, je n'ai aucun problème avec la fille de Max, mon frère cadet. Il est décédé dans un bête accident de la route avec sa femme Jessamine en revenant d'un spectacle de danse dont il était le metteur en scène. Anna, le petit trésor de notre famille, s'est retrouvée orpheline du jour au lendemain. Depuis ce temps, elle habite chez moi, mais n'a pas oublié à quel point ses parents aimaient danser avec elle. Bien sûr ce n'était que pour le simple plaisir de la voir éclater de rire. Max la faisait passer entre ses jambes ou la suspendait au bout de ses bras pour la faire virevolter au-dessus de sa tête. De vrais bons moments qui lui manquent et qui me manquent aussi.

Elle a gardé d'excellents souvenirs de ses parents, mais puisqu'elle n'a pas connu sa famille maternelle, ce sont ceux de Max qui sont les plus vifs. Hier encore, elle a revêtu son tutu rose qu'elle portait au dernier Halloween. C'est bien sûr sa grand-mère Maryse, ma propre mère qui le lui avait offert à l'époque, dans l'espoir qu'elle suive les traces de son Papa. J'ai réussi à maintenir le statu quo jusqu'à aujourd'hui en argumentant sur son jeune âge et mes trop longues journées au boulot qui m'empêchaient d'être disponible les soirs où le cours de Tessa se déroulait.

Mais ce matin, cela s'est vraiment mal terminé. Le lait s'est retrouvé au sol quand je lui ai encore refusé les cours qu'elle espère depuis si longtemps. Ce n'était pas un accident, loin de là. Mademoiselle Lightwood a délibérément frappé le verre de manière à ce qu'il se renverse sur le couvre-lit ainsi que sur le tapis persan qui borde le pourtour du lit. J'ai aussitôt exigé des excuses qui ne sont jamais venues. Cela m'a mis dans une colère explosive et les mots se sont envolés jusqu'à elle pour lui confirmer que son attitude prouvait qu'elle était encore trop jeune.

Malheureusement, Anna a de qui tenir. Ma mère sait très bien comment nous rendre dingue quand elle n'a pas ce qu'elle désire. La plupart du temps, c'est Papa qui écope à notre place, sauf que ma nièce n'est pas ma mère qui habite deux rues plus loin, non. Elle est ma filleule dont j'ai hérité de la garde à la mort de ses parents. Je suis donc son seul et unique ennemi quand elle décide de faire la tête. Moi qui avais une petite vie rangée sans la moindre houle, j'ai bien vite compris ce dont Max se plaignait. Sa fille, ou je pourrais maintenant dire ma fille, est pire que le gars qui a donné son nom à l'obstination.

C'est ainsi que, ce matin, je l'ai envoyé réfléchir dans sa chambre tandis que je défaisais les draps dans le but de les laver. En me rendant dans la salle d'eau où se trouve la laveuse, j'entends ses jouets rebondir sur le sol ou contre le mur. Elle est dans un état pire que tout ce que j'ai pu voir depuis les deux dernières années. À six ans, elle a perdu ses parents et son moyen de crier sa souffrance a toujours été de fracasser tous les objets de sa chambre. Étant donné sa peine légitime, j'ai laissé passer ces crises qui ont fini par s'espacer, mais cela se produit toujours quand Max ou la danse sont au cœur des discussions.

Je sais que j'ai mes torts en lui interdisant ce sport mais, si cela soulève de beaux souvenirs pour Anna, il en est tout autrement pour moi. Max me manque et tout ce qui me rappelle sa présence m'est insupportable ; la danse est donc inconcevable puisqu'au bout du compte c'est à cause de ça qu'il a été emporté dans l'autre monde.

J'ajoute une tablette de savon dans la lessive puis entre sous la douche pour enlever l'odeur de petit lait que le liquide a laissé sur moi en éclaboussant. L'eau chaude me revigore et je laisse les pensées noires derrière moi. Il ne faut pas que je cède aux caprices d'Anna, ce n'est qu'une enfant de huit ans, après tout.

Du baume au cœur (Malec AU)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant