Chapitre 35

181 18 16
                                    

▪ Magnus ▪

Si j'avais choisi le docteur Carstairs, c'est à cause de son cabinet proche de Central Park et pas trop de mon appartement de l'époque. Je n'avais pas envie que mes voisins sachent que j'allais voir un psy, je ne voulais pas qu'on se demande ce qui n'allait pas chez moi. Il faut dire que la liste est longue. Après avoir insisté pendant des semaines, Ragnor m'a mis une liste de noms et d'adresses sous le nez et m'a demandé d'en choisir un, puis de l'appeler devant lui. À ce moment-là on s'est disputé, encore. Comme à chaque fois où il essayait d'aborder le sujet. Il est au courant pour ma boulimie depuis presque le tout début, je vivais chez lui, après tout. C'était difficile à cacher. Je sais qu'il s'est souvent reproché de ne pas m'avoir forcé à me faire soigner plus tôt, puis je lui ai avoué que s'il l'avait fait j'aurais sûrement fui, et il a arrêté de culpabiliser.

Avant d'aller voir le docteur Carstairs, je ne savais pas que j'étais malade. Je savais que ce n'était pas normal mais je n'avais pas conscience que c'était si grave. Parce que j'ai refusé une psychothérapie – il était hors de question que je laisse un inconnu farfouiller dans mon passé que je m'échinais à oublier –, j'ai suivi une thérapie comportementale et cognitive pour réussir à comprendre d'où venaient mes compulsions, ce qu'étaient les comportements compensatoires et comment parvenir à les dépasser. Cela a pris du temps, bien sûr, et j'ai fini par m'ouvrir à mon psychologue bien plus que je l'avais prévu, mais ça a fonctionné et après un an passé sans crise, il m'a dit que j'étais guéri.

Je ne m'attendais pas plus que lui à devoir revenir dans cet endroit même si, dans d'autres circonstances, nous aurions sans doute pu être amis. Il me regarde observer la nouvelle décoration de son bureau qui a beaucoup changé depuis la dernière fois que je suis venu. Toute la journée, je me suis arrangé pour m'occuper l'esprit et je n'ai pas laissé Alexander tranquille une seule seconde. Le pauvre, j'ai peur qu'il comprenne que c'est à ça que je ressemble quand je suis vraiment stressé. Mais maintenant, je suis tout seul face à mon psy, dans ce bureau silencieux. Il est tard, dehors il fait nuit et je sais qu'il est resté pour moi. Ça me rend d'autant plus nerveux.

— Vous avez l'air en meilleure forme que la première fois que je vous ai vu, finit-il par dire.

— Oui, j'essaie de faire attention à mon état de santé... Enfin, dans une certaine mesure.

— Vous faites attention à ce que ça ne se voit pas, Magnus, ce n'est pas tout à fait la même chose.

Son ton est doux et bienveillant mais je sens la honte m'envahir quand je réalise qu'il a raison. Je m'accoude au canapé sur lequel je suis assis et pose mon menton sur ma main pour garder contenance. Mais il me connaît et c'est son travail, après tout.

Comme toujours, il parvient à me faire parler et on discute de manière presque désinvolte de ma décision de quitter la troupe de Lorenzo et de ma nouvelle vie à Luray. J'essaie d'ignorer qu'il prend note de ce que je dis et que ces notes me suivront auprès de son confrère.

— Je suis content que vous ayez essayé de suivre les conseils que je vous ai donné durant votre thérapie, mais je pense que vous avez certaines choses à résoudre si vous voulez vous en sortir définitivement. Je crains qu'une autre TCC ne vous apporte pas ce dont vous avez réellement besoin.

— Je n'ai pas envie d'une psychothérapie, je ne vois pas pourquoi ce serait nécessaire, protesté-je aussitôt. C'est avec la nourriture que j'ai un problème, rien d'autre !

— Vous entendez toujours la voix de votre père quand vous avez une crise de boulimie ?

— Ce sont des réminiscences, c'est pas comme si... j'entendais des voix.

Du baume au cœur (Malec AU)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant