Chapitre 19

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Mon torse se comprima sous l'effet de ses paroles.

— Qu'est-ce que tu veux dire ? l'incitai-je à continuer.

Ses yeux balayaient la nappe pour trouver quelque chose qu'il ne pouvait voir.

— Je...

Je posai ma main sur la sienne et sentis le sang qui pulsait violemment sous ses veines.

— Papa, parle-moi.

Il sembla un instant chercher ses mots, abandonna sa tartine sur la table puis recula maladroitement sa chaise en se levant.

— Je ne sais pas... Je ne me souviens pas. Je suis désolé.

Il tourna les talons pour se diriger vers la cuisine. Ma mère haussa les sourcils, puis tendit une assiette à l'alpha en ignorant la situation.

Je regardai mon père quitter la pièce, interdite, et conduisis à contrecœur mon pouvoir vers son esprit. J'aurais aimé ne pas en arriver là. Il était nerveux, mais c'est surtout sa peine qui me perturba. Il ne savait rien, j'en étais certaine. Quelque chose lui échappait, et il ne saisissait pas ce que c'était, ni pourquoi. 

Mais alors, comment était-il au courant que ces documents m'étaient destinés s'il n'avait jamais posé les yeux dessus ?

Je rappelai mon don, mais quelque chose attira son attention à la lisière de son esprit. Je tentai de me focaliser sur mon ressenti malgré les discussions incessantes de ma mère, et Robin m'aida à augmenter ma concentration à travers notre lien. La sensation dansait, insaisissable, puis elle se lova confortablement dans les recoins de son cerveau.

De la magie. Le cerveau de mon père était empreint de magie.

***

L'avion avait du retard, la zone d'embarquement était bondée, et nous n'avions pas eu une seconde à deux depuis le petit-déjeuner. Robin bouillonnait. Après des heures à patienter près des Duty-Free en buvant un mauvais café, on nous avait annoncé le début de l'embarquement, mais il ne pouvait plus attendre pour me livrer ses impressions. Il attrapa la valise cabine dans laquelle nous avions précautionneusement rangé tous les documents, et m'entraina vers le fond du bâtiment en se faufilant adroitement dans la foule. Les voyageurs s'écartaient à son passage, trop inquiets à l'idée d'être percutés. Il avisa une porte de service, jeta un coup d'œil derrière nous, et m'invita d'un signe de tête à entrer.

— J'aurais pu trouver mieux, avoua-t-il en découvrant l'intérieur du placard à balai.

Je laissai mes yeux s'habituer à l'obscurité et m'assis maladroitement sur le bord d'un chariot d'entretien pendant qu'il posait la valise sur une étagère pleine de produits ménagers pour nous faire de la place. L'odeur de l'eau de javel me brûlait le nez. Je me focalisai sur celle de l'alpha à quelques centimètres de moi pour tenter de l'ignorer. La pièce était exiguë, et j'avais manqué de Robin trop longtemps, jamais nous n'avions autant été privés d'intimité. Sa chaleur irradiait de tout son corps, me troublant bien plus que je ne voulais bien me l'avouer. Je me forçai à me concentrer sur notre sujet, et le laissai commencer, impatiente de savoir ce qu'il pensait de la réaction de mon père.

— Tu as vu ses yeux ? Il a quelque chose de louche, n'est-ce pas ? me demanda-t-il en passant une main dans ses cheveux.

— C'est aussi ce que je pense. J'ai senti de la magie dans son esprit. Tu as remarqué qu'il a chargé tous nos bagages dans la voiture, sauf elle ? dis-je en désignant du regard la valise qui nous accompagnait.

— C'est comme si quelque chose l'empêchait de fixer son attention dessus. Comme si son cerveau lui interdisait de s'y intéresser. C'est possible, ça ?

— Morgane pourrait sans doute nous en dire plus.

Je me contorsionnai pour attraper mon téléphone et résumai brièvement la situation.

J'appuyai sur le bouton envoyé, et le mobile sonna presque instantanément. Je montrai l'écran à Robin et la lumière éclaira son visage : la sorcière m'appelait. Elle était médium avant de rejoindre la meute de Damian, et ce n'était pas pour rien.

— Tu as raison, c'est de la magie, trancha-t-elle à peine eu-je décroché. Nous pouvons imprégner à peu près n'importe quoi de notre pouvoir. Ton ancêtre ne voulait pas qu'il découvre la vérité, et elle a fait en sorte que ça n'arrive pas. D'ailleurs, ça ne concerne sans doute pas seulement ton père. Si tu avais posé la question aux autres membres de ta famille, tout le monde t'aurait dit la même chose, argua-t-elle en reniflant. À une époque, nous étions des reines de la dissimulation. Ces vieux sorts ont été transmis de génération en génération. Il y avait un objet avec ces documents ?

Je pris quelques secondes pour réfléchir.

— Un bouquet. Un petit bouquet de fleurs séchées.

Je me rappelai maintenant les étranges vibrations qui en émanaient.

— Le bouquet était ensorcelé, continua la sorcière. Il devait servir à la fois à repousser les humains, mais aussi à les rattacher inexplicablement à ces vieilleries. Le but étant qu'il les transmette à la prochaine sorcière de leur famille.

Les haut-parleurs grésillants annoncèrent la fin de l'embarquement imminant pour notre vol, il ne nous restait qu'une poignée de minutes pour rejoindre notre appareil.

— Merci pour ton aide, me pressai-je.

— Alex, peux-tu m'envoyer ces documents ? J'aimerais y jeter un coup d'œil.

L'alpha se raidit.

— Bien sûr, mentis-je à Morgane en posant ma main sur son torse pour l'apaiser. Nous allons transmettre une copie à Thomas, il te laissera les consulter.

— Parfait.

Je raccrochai et fourrai mon téléphone dans ma poche.

— Nous leur enverrons seulement ce qui a peu d'importance. Rien sur Marie, ou la création des loups-garous, dis-je à l'alpha.

Il acquiesça, attrapa notre bagage, et m'entraina à travers le hall.

La foule semblait s'être encore densifiée, et nous eûmes du mal à atteindre la porte d'embarquement sans renverser personne. D'autant plus que Robin prenait garde à conserver une allure humaine pour ne pas attirer l'attention. Nous nous faufilâmes tant bien que mal entre les chariots à bagages, les passagers assis par terre et les enfants qui couraient dans les allées, impatients de monter dans un avion pour la première fois.

Nous n'étions plus qu'à quelques mètres, lorsque l'agent d'escale ferma la barrière métallique. Une famille se précipita sur l'hôtesse déjà en train de partir pour la supplier de rouvrir les portes, mais ses mouvements de tête confirmèrent ce que je craignais : nous avions raté l'avion.

S'il te plaît, l'implorai-je intérieurement, je dois rentrer à Aston.

Je n'aurais pas supporté une minute de plus dans ce capharnaüm, le silence et la tranquillité des montagnes étaient devenus indispensables à mon équilibre.

Rouvre ces portes, s'il te plaît, insistai-je.

Inconsciemment, je projetai mon pouvoir vers son esprit qui s'enroula doucement autour de son cerveau pour me revenir une seconde plus tard.

La jeune femme se retourna les yeux vides, nous adressa un large sourire, tendit la main pour récupérer nos passeports et nous laissa rejoindre l'appareil.

Ici - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant