Ici - Tome 2

Chapitre 30

Je faisais en sorte de manger un minimum, pour ne pas ingérer trop d'inhibiteur. Malgré tout, je devais tout de même m'hydrater, et l'eau en était bourrée.

Mon estomac avait commencé depuis plusieurs jours à se révolter contre le produit, et j'avais la nausée, même après avoir rendu le peu de l'infâme bouillie que j'avais avalé. Et le pire dans tout ça, c'est que Matt ne pouvait toujours pas se transformer. Cela dit, il avait l'air de se sentir mieux, mais il ne s'en vantait pas. Dès que je lui tendais ma ration, il essayait par tous les moyens de me faire changer d'avis, et je devais débattre avec lui de longues minutes avant qu'il daigne enfin me donner son bol.

Mes forces me quittaient peu à peu. J'étais faible, et je dormais de plus en plus pour tromper l'ennui et m'économiser.

Une nuit, ou un jour — tout se confondait — une réplique fit irruption dans mon esprit. Je l'avais déjà entendu, mais elle me revint aussi clairement que si on venait de la prononcer devant moi.

« Les Absolues ont la capacité d'absorber la magie partout autour d'elle »

Je me redressai sur ma couchette, interrompant les battements d'index de Matt qui s'occupait en jouant un rythme sur les barreaux de sa cellule. Quelqu'un m'avait insufflé ce souvenir, celui de ma conversation avec Morgane, chez Damian.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

La magie était là, elle flottait tout autour de moi. Mais ce n'était pas la mienne, enfin, pas celle que je connaissais. Pas celle qui nous unissait Robin et moi et qui entretenait notre lien, mais un pouvoir différent, plus piquant, plus vaporeux. On avait ramener ce souvenir à la surface de mon cerveau, j'en étais certaine.

— Je repense à ce que Morgane m'a dit, simplifiai-je pour mon voisin de cellule. Les sorcières puisent leurs dons dans le nuage... mais pas moi. Sinon, j'aurais un minimum de pouvoir.

Il se rapprocha des barreaux et s'appuya contre eux.

— Tu n'as jamais eu à utiliser le même pouvoir que les autres, car Robin était là. Mais peut-être que tu peux la trouver ailleurs toi aussi ?

Je commençais à bien connaître celle qui m'habitait, et les sensations qui l'accompagnaient. Elle était rassurante, enveloppante, et me suivait partout habituellement. J'en étais gavée. C'était une présence qui ronronnait agréablement à l'intérieur de moi, et je l'aimais telle qu'elle était : omniprésente et réconfortante. Pourquoi aurais-je voulu en chercher une autre ailleurs ?

Celle qui m'avait soufflé cette pensée s'était dissipé, ne me laissant que peu d'indices sur sa provenance.

Contrairement à Morgane qui avait vécu parmi les sorcières, personne ne m'avait jamais appris à maîtriser ces dons. Donc je tâtonnais, je m'efforçais de croire en ce que je faisais, et bien souvent c'était suffisant. Mais Thomas m'avait confirmé ce que je savais déjà, que le nuage n'était pas assez puissant pour alimenter leur magie. Pourtant, la sorcière de la meute de Damian n'en était pas du tout dénuée...

— Je vais essayer.

Je fermai les yeux pour me concentrer, et respirai lentement.

D'abord, je cherchai à l'intérieur de moi. Rien, pas de trace du lien. Puis, je me forçai à ouvrir mon esprit vers l'extérieur. L'exercice était plus complexe, car c'était l'inverse de ce que je faisais habituellement. La Reconnaissance brillait en moi, tandis que la magie des sorcières était partout en dehors.

Doucement, je sentis une présence. Elle était discrète, mais elle était là. Elle ne ressemblait pas à ce que je connaissais. Composée de centaines de fragments, elle me faisait penser à un puzzle. De petites pièces avec chacune leurs particularités, leurs couleurs, leurs formes formant une parfaite harmonie.