Ici - Tome 2

Chapitre 31

Clip-clap.

Clip-Clap.

J'écoutai le goutte-à-goutte tomber depuis des heures.

Les parois de nos cellules étaient tellement humides qu'il y avait en permanence une petite flaque dans le coin droit de la mienne. Quant à celle de Lexi, c'était carrément une rigole entière qui la traversait.

La moiteur poisseuse s'accrochait à mes vêtements, les mêmes qu'à mon arrivée. Une chemise en loque, et un jean qui n'était pas mieux, taché de sang. En plus de ça, mon odorat était revenu en même temps que les bribes de pouvoir, à mon grand désarroi. Nous avions trois minutes montre en main pour nous laver avec de l'eau froide lorsque nous allions aux sanitaires à tour de rôle, mais il était inconcevable de nettoyer nos habits pour la simple raison que nous ne parviendrions jamais à les faire sécher. Je me raccrochai à ma vision pour supporter ce calvaire qui n'en finissait pas : Robin arrivait, et avec lui, la libération.

Mon inquiétude me serrait la gorge. J'avais peur. Peur qu'il tente une mission suicide, qu'il ne sache rien de ce qui se trame ici. En temps normal, il était prudent, raisonné. Mais quand il s'agissait de moi, il était tout l'inverse. Wyatt était avec lui, ainsi qu'Arkan. J'espérais que ces deux dominants aient réussi à lui faire garder la tête froide.

— Debout !

Je reconnus la voix de notre geôlier. C'était l'heure à laquelle nous allions à tour de rôle nous rafraichir aux sanitaires. La porte grinça.

Comme d'habitude, ce fut d'abord au tour de Lexi.

— Lève-toi, sorcière ! la somma-t-il en entrant dans sa cellule.

Un gémissement lui répondit, et il hésita.

— Merde, elle n'est plus capable de tenir debout.

— Donnez-lui des médicaments, cracha Matt. Je vous jure que si elle meurt, je vous arracherai vos yeux de vautour et les jetterai à bouffer aux poissons.

— Prends l'autre, l'ignora son comparse resté à la porte en ricanant. Elles iront toutes les deux.

Il fit pivoter la clé dans ma serrure et je me levai.

— Va chercher ta copine, m'ordonna-t-il.

Je suivis son regard en silence, et entrai dans sa cellule. Je m'agenouillai au-dessus d'elle, son pouls battait si faiblement que je n'étais même pas certaine de l'avoir entendu, peut-être était-ce le fruit de mon imagination. Je posai ma main sur son front brûlant, alors que le sitram derrière moi s'impatientait.

— Viens Lexi, on y va.

Je ne lui laissai pas le choix et glissai son poignet rachitique sur mes épaules. Je me relevai en serrant les dents. Elle répondit par un gémissement, et elle s'effondra contre moi. J'entourai sa taille de mon bras et les suivis dans le couloir. La pièce d'eau, qui consistait en une petite rivière peu profonde qui s'écoulait au fond d'une grotte, était à une dizaine de mètres seulement.

Elle était d'une maigreur à faire peur, ses mois de captivité l'avaient détruite. Malgré ça, j'avais du mal à la porter, des étoiles commençaient à danser devant mes yeux dus à la faiblesse de mon corps.

Enfin, je franchis l'arche, et les sitrams s'arrêtèrent à l'entrée : il n'y avait aucune issue dans cette pièce, nous ne nous risquerions pas de réussir à nous évader. Je me forçai à avancer jusqu'au fond en dissimulant un grognement, puis déposai lentement Lexi au bord de l'eau, en prenant garde à faire glisser sa tête le plus doucement possible sur la pierre mouillée.

Il y avait une ampoule nue suspendue au plafond, et c'était la première fois que j'apercevais ma voisine de cellule. Éblouie, je mis quelques secondes à retrouver ma vue, puis me penchai sur elle. Ses cheveux blonds décolorés auréolaient son visage pâle, et je déposai quelques gouttes sur son front pour la rafraichir.

Ses yeux d'un bleu glacial papillonnèrent pour me dévisager, et j'avisai son anneau dans le nez avec un sourire.

— Salut, lui chuchotai-je bêtement.

— Sympa le tatouage, me répondit-elle faiblement.

Je déchirai le bas de ma chemise et la trempai dans l'eau avant de l'appliquer sur son front. Je n'avais que quelques minutes, j'espérai que ça suffirait.

Je gardai une main sur le tissu, l'autre sur sa poitrine. Lentement, le pouvoir des sorcières fourmilla sur le bout de mes doigts et je fermai les yeux en priant pour que les sitrams ne se décident pas à venir voir ce que l'on trafiquait. Je projetai le pouvoir dans le corps frêle pour lui redonner un peu de force. Elle ferma ses paupières bleutées et soupira.

Plus vite.

La magie était trop faible, trop diffuse, pour soigner Lexi correctement. Mais j'espérai qu'elle l'aide un peu. Au bout de quelques secondes, je commençai déjà à flancher. Mais je tiens bon.

— Ça va aller, Lexi, chuchotai-je les dents serrées.

Une sueur glaciale coulait dans ma nuque, je forçai la magie à continuer alors que mon corps la suppliait d'arrêter.

— Plus qu'une minute ! entends-je crier derrière la paroi rocheuse.

Je persistai. Chaque seconde était précieuse pour elle. Elle fut prise d'une quinte de toux, et je retirai mes paumes pour l'aider à se redresser. Je trempai le tissu dans l'eau pour essuyer rapidement son visage et son cou. Nos regards se croisèrent, et je serrai sa main en réponse à son remerciement silencieux.

— Bougez-vous !

Je me relevai en ignorant le vertige qui me saisit, puis passai son bras sur mes épaules. J'avais soif, mais il n'était pas question de boire cette eau, que nous n'étions sans doute pas les seuls à utiliser en guise de sanitaires. Je nous redressai avec difficulté, mais malgré sa faiblesse, je notai que Lexi tenait un peu mieux sur ses appuis. Nous suivîmes docilement les deux geôliers jusqu'à nos cellules respectives.

Après le départ de Matt, elle s'empara mollement de sa bouteille d'eau et se rallongea en toussant. J'espérais avoir grappillé quelques heures de vie à Lexi, en attendant de sortir d'ici.

***

Plus tard, le raclement de la porte me surprit : nous avions déjà eu notre maigre repas. Mon cœur tambourina dans ma poitrine, mais je savais que ce n'était pas l'un des miens. Je l'aurais senti. Cette fois-ci, ce fut cinq hommes qui entrèrent. Je reconnus l'un d'eux, c'était le chauffeur de la meute de Damian. Je lui lançai un regard noir auquel il ne prêta aucune attention. Sous bonne garde, Matt et moi fûmes traînés plus loin dans les souterrains. J'essayai de noter mentalement les intersections et jetai furtivement un regard à mon ami. J'espérai qu'il ne fasse pas démonstration de sa force en partie retrouvée, il était trop tôt, nous n'avions aucun plan.

Incertains du sort qui nous attendait, nous pénétrâmes dans une pièce éclairée par des projecteurs de chantier. Éblouie, je protégeai mes iris de mon avant-bras en papillonnant des paupières. Il y avait du monde autour de nous, j'entendais murmurer.

Toujours incapable de relever la tête tant la lumière était forte après ces jours dans l'obscurité, je baissai les yeux pour me préserver.

— C'est quoi ce bordel ? souffla Matt.

Sa terreur me saisit et fit écho à la mienne : l'extrémité de mes Converses baignait dans un liquide sombre et épais.

Du sang.