Chapitre 38 - I

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Le dîner improvisé autour de l'îlot central de la cuisine touchait à sa fin. Ted terminait la vaisselle que j'essuyai nerveusement, tandis que James jouait avec Juliette et des bouchons en liège au milieu des verres et des assiettes vides.

La meute au complet était d'accord avec nous pour que tout cela cesse. Personne n'était dupe, nous ne serions jamais tranquilles sans ça : à chaque instant, une armée de sitrams pourrait surgir. Ils nous voyaient comme des ennemies, ce qu'on était effectivement.

Mais surtout, aucun de nous ne comprenait comment les membres de l'alliance entre Rose, les sitrams et Damian, pouvaient se regarder dans une glace. Nous n'étions plus au Moyen-Age : séquestrer, torturer, voire tuer, tout cela était interdit, mais surtout, immorale et ignoble. Rien que d'y penser, j'en avais la nausée. Rose avait perdu son humanité, elle était ivre de pouvoirs, complètement aveuglée par ses intérêts. Elle vivait dans un monde qui n'était pas le nôtre, il fallait l'écarter par tous les moyens. Et si on devait se battre pour ça, on le ferait.

Robin m'en apprit plus que je n'en savais. Il tenait d'Arkan que Rose tentait de trouver plus de loups-garous prêts à se ranger à ses côtés. Le problème des sitrams, c'est qu'ils n'avaient ni Dieu ni Maître, contrairement à nos semblables qui restaient fortement liées aux sorcières, notamment grâce à la Reconnaissance.

— Le premier loup qui l'a rejointe était Elias, m'avoua Robin, les mâchoires serrées. Elle se doutait que tu avais des pouvoirs, elle l'a envoyé pour jauger tes capacités. Quand il t'a attaqué la première fois, il a pensé que tu n'en avais pas, et il a donc décidé de te tuer pour assouvir sa vengeance.

— Il aurait fait une pierre deux coups. Il aurait renseigné Rose, et t'aurait fait souffrir en m'exécutant, vu que je n'aurais pas servi leur cause, compris-je.

Petit à petit, les morceaux du puzzle s'assemblaient dans ma tête. Rose n'avait pas fait ça de manière irréfléchie. Ça faisait sans doute des années qu'elle œuvrait dans l'ombre.

Il resta silencieux et ferma les yeux quelques instants.

— Il faut qu'on demande l'aide des Sept, on n'a plus de choix, acheva-t-il en serrant les poings. Avec un peu de chance, l'intérêt qu'ils entretiennent pour Alex jouera en notre faveur.

Je sentis mes épaules se tendre.

— Tu as raison, acquiesça son second. On n'a aucune de leur puissance, et c'est le seul moyen d'avoir le soutien de toutes les meutes. Alex, tu en dis quoi ?

Ce que j'en dis, c'est que je ne veux pas rencontrer les Sept.

Je ne voulais pas être scrutée comme un animal de foire comme chez Damian, et j'avais horreur d'être au centre de l'attention. Même avant tout ça, je n'avais pas envie d'y aller, malgré que Robin m'ait signifié qu'on ne pouvait pas vraiment refuser leur invitation. Mais cette fois, ce n'était pas seulement la quiétude de nos vies qui était en jeu. C'était tout l'équilibre de notre monde.

Rose estimait que les êtres surnaturels que nous étions avaient vécu trop longtemps dans l'ombre. Mais que se passerait-il si les humains prenaient conscience de notre existence ? Entre panique, paranoïa, accusations : les conséquences seraient nombreuses. Il y aurait forcément des affrontements, des soulèvements, des guerres. Et des morts. Beaucoup de morts.

Nous serions vus comme des envahisseurs. Pourtant, notre condition n'était pas à plaindre à mon sens. De ce que je connaissais des loups-garous et des sorcières, chacun pouvait s'intégrer à la société humaine comme il le souhaitait. Et utiliser nos pouvoirs avec discrétion me semblait être un moindre mal.

À la limite, la situation des sitrams était plus délicate. Mais ils ne cherchaient pas la compagnie des humains à ce que j'avais compris. Ils les voyaient comme des proies, et on ne devient pas ami avec son dîner.

Ici - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant