Chapitre 3

4.2K 285 21
                                    

Nous étions partis à l'aube. Il y avait quatre heures de route entre Aston et l'aéroport le plus proche, et nous avions emprunté un vieux minibus à Max, le patron de Robin, pour être à l'aise. L'alpha conduisait alors que je rêvassais à la place passager. J'étais bizarrement assez détendu, et je savais que ce n'était pas seulement grâce à la présence sécurisante du lien de Reconnaissance dans mon esprit, mais aussi grâce à l'ambiance légère dans le véhicule. Derrière nous, Ted et Samuel se remémoraient des souvenirs de leur fin d'adolescence, lorsqu'ils étaient tous jeunes loups-garous. Sur la banquette du fond, James riait à gorge déployée, et renchérissait de plus belle.

Il avait bien changé depuis quelques mois. Il était devenu un homme fort, aussi bien bâti que les autres. Toute trace d'enfance avait disparu de ses traits, et il paraissait au moins quatre ans plus vieux que son âge. Je devais sans cesse me remémorer qu'il n'avait que seize ans. Son comportement avait évolué également. Il était devenu mature et responsable. J'espérai que ce ne soit pas lié à l'absence de son frère, mais les épreuves peuvent rendre n'importe quel enfant adulte. Nous faisions tout notre possible pour passer du temps avec lui, et toute la meute faisait en sorte qu'il ne soit que rarement seul. Mais Matt lui manquait. Il nous manquait à tous.

Nous n'avions pas de nouvelles, et à chaque fois qu'on frappait à la porte, j'espérai que ce soit lui. Robin manquait cruellement d'un second, et même si Conor occupait ce poste avec brio depuis plusieurs mois, c'était différent. Il était le seul membre devant qui Robin lâchait du leste, car il savait que jamais Matt ne chercherait à le doubler. La confiance qu'ils avaient développée entre l'un et l'autre n'avait pas d'équivalent.

Le van entra sur le parking de l'aéroport sous la pluie battante, et nous récupérâmes nos affaires dans le coffre. Nous devions rester trois jours dans la meute de Damian. C'était le minimum pour une visite de courtoisie. Robin attrapa ma main et m'entraîna vers le hall principal. Je maudis les chaussures ouvertes et la robe noire que j'avais mises ce matin : en quelques secondes, j'étais déjà trempée.

Sur les conseils de Jenny, j'avais fait un effort vestimentaire pour rencontrer nos alliées. Dans la vallée, j'avais l'habitude de porter des vêtements confortables, en adéquation avec le climat et mes activités. Et ça ne semblait pas gêner Robin, qui ne manquait pas une occasion de me déshabiller du regard. Mais je savais que Damian et son clan vivaient dans le luxe, et je ne voulais pas qu'ils aient une raison supplémentaire de me juger.

Alors que nous marchions tous les cinq, les gens se retournaient sur notre passage : les femmes pour le physique avantageux des loups-garous, leur carrure impressionnante, et les hommes qui nous toisaient l'air envieux. Je remarquai aussi que certaines personnes s'écartaient. Sans doute avaient-elles un instinct de survie plus développé que la normale. Leur subconscient les incitait à s'éloigner de ces prédateurs, qui pouvaient leur briser la nuque d'une simple gifle.

Nous franchîmes les portes automatiques, et le brouhaha m'assaillit. Avec mes nouvelles perceptions, les conversations, les cris, tout me parvenait de manière beaucoup trop amplifiée. La pluie battait le plafond en verre vitré dans un bruit assourdissant. Mon rythme cardiaque accéléra, mais je ne l'entendis même pas dans la cacophonie ambiante. Des enfants couraient autour de leurs parents en criant, des groupes d'amis gémissaient d'excitation pour leur départ en vacances, et des voix robotisées hurlaient des annonces grésillantes dans les haut-parleurs. Dès que mes yeux se fixaient sur quelqu'un, j'entendais ses paroles qui ajoutaient à mon trouble. S'il n'y avait eu que le volume sonore, je pense que j'aurais pu m'y faire. Mais le pire était les émotions de tous ses gens. Le hall était bondé, et mon esprit assaillit : l'angoisse des retardataires, la peur des voyageurs effrayés par l'avion, la tristesse des familles qui se séparaient, le bonheur de ceux qui quittaient leur routine pour de nouveaux horizons... Mon pouvoir tentaculaire jaillissait d'un cerveau à un autre, saisissant tous les sentiments au passage. J'étais submergée.

Ici - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant