Prologue

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Andrew se réveilla aux premières lueurs du jour. Mécaniquement, il suivit sa routine matinale. Fit le tour de la maison pour ouvrir les volets, remarqua une nouvelle fois que le battant gauche de celui du bureau était branlant, décida comme toujours qu'il s'en occuperait plus tard. C'était là l'avantage de savoir à quoi l'on était destiné, n'est-ce pas ? Rien d'autre n'a de sens, en définitive. Une fois ces considérations derrière lui, il aéra la chambre puis prit sa douche. Enfin, il descendit se préparer un bol de porridge selon la recette de père : de simples flocons d'avoine mélangés à de l'eau.

Le ventre raisonnablement plein, il remonta à l'étage, ouvrit son bac à linge sale et se saisit d'une grosse pile. Andrew ne s'habillait qu'en gris, souhaitant autant que faire se pouvait s'épargner l'opération du tri. C'était plus simple - plus ennuyeux aussi, peut-être - mais cela ne l'aidait cependant pas à venir à bout de la montagne de vêtements tâchés qui jamais ne semblait se terminer. Le travail de la terre était salissant, et il aimait se présenter propre et frais lorsqu'il allait à la ville. Il se changeait donc souvent.

Comme à son habitude, il se dirigea vers la modeste salle de bains, où il s'adonna au rituel abrutissant consistant à mouiller, savonner, frotter, rincer et essorer ses vêtements dans la baignoire écaillée. Il les étendit ensuite sur les fils à linge à l'arrière de la maison. Le soleil brillait haut en cette matinée de juin, les habits sécheraient vite.

Andrew avait chargé la camionnette la veille. Aujourd'hui, il livrait des produits résistants - poivrons, piments, courgettes - ce qui lui avait permis de préparer la cargaison à l'avance. Il eut donc un peu de temps devant lui pour faire du rangement. Il y avait peu à faire, Andrew aimant aussi peu posséder des objets que les utiliser. Il s'affaira tout de même, s'assurant que tout était à sa place. En cela, l'éducation de père avait laissé des traces. 

Il partit avec quelques minutes d'avance sur son programme et roula lentement. La camionnette cahota pendant quelques instants sur le chemin de terre, bordé de part et d'autre par une végétation sauvage, avant de rejoindre la route qui menait à Stocktown. Il était encore très tôt et il put parcourir la majeure partie du trajet sans croiser âme qui vive. Un bras posé sur la fenêtre, il écouta une cassette en fredonnant. Cela, père aurait moins aimé. Il n'avait jamais été féru de nouveautés, moins encore de distractions. Jack, en revanche, aurait été ravi. Ecouter de la musique était l'un des quelques plaisirs qu'ils partageaient, rares mais précieux. Andrew se surprit à sourire à cette pensée et se reprit aussitôt.

Il commença par livrer les produits au Hoodie's, le principal acheteur de sa récolte de piments forts. Le restaurant les utilisait pour l'un de leurs plats, qui semblait avoir beaucoup de succès. Le propriétaire l'avait invité à venir y manger à plusieurs reprises, mais il n'avait jamais sauté le pas. Ensuite, il se rendit au Alberto's et dut attendre une dizaine de minutes, garé en face de l'établissement. Ce n'était pas le gérant qui était en charge de l'ouverture aujourd'hui, et Stacy était en retard. Quand elle arriva d'un pas précipité, il remarqua que sa chevelure blonde était coiffée à la hâte et qu'elle sentait l'alcool. Elle s'excusa en rougissant tout en cherchant les clés de la devanture, puis aida Andrew à décharger les caisses de légumes qu'il avait apportées. En le payant, elle lui demanda de ne pas se plaindre d'elle auprès d'Alberto. Andrew la rassura, lui assura que tout allait bien, et elle laissa échapper un soupir de soulagement.

En reprenant place dans sa Chevrolet, il se demanda pourquoi Stacy craignait autant son patron. Alberto avait l'air d'être quelqu'un de bien, mais peut-être les apparences étaient-elles trompeuses. Elles l'étaient souvent, trop à son goût. Mais était-il bien placé pour se plaindre en la matière ?

Il livra finalement le reste de sa marchandise au Five Corners, puis prit le chemin du retour alors que le trafic commençait à se densifier. Sur une route secondaire, il croisa le révérend McHollister dans son pick-up couleur rouille et lui adressa un signe de la main. L'homme lui répondit amicalement et, comme personne d'autre ne les suivait, ils s'arrêtèrent au beau milieu du chemin. Le révérend abaissa sa vitre et tendit un peu plus encore sa ceinture, déjà mise à mal par son ventre proéminent, pour se pencher à l'extérieur et engager la conversation.

They who grow smallerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant