38 - Reinhardt

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— Monsieur, ils ne reviendront pas.

Ols avait beau ne se trouver qu'à un pas de lui, sa voix lui parvenait faiblement, comme si le message avait été enveloppé dans du coton. Les yeux de Reinhardt étaient fixés sur la porte de Penance, mais son regard était perdu dans le vide. De trop avoir attendu ce qui ne viendrait pas, il n'était à présent plus qu'une coquille vide, dans laquelle résonnaient tristement ses vains espoirs. 

Il fallait se rendre à l'évidence, les émissaires ne reviendraient pas. Il le fallait, cependant, mais la nécessité ne suffisait pas à transformer la réalité selon son bon vouloir. Les deux jeunes fantassins étaient partis à l'aube avec son message, et le soleil avait à présent la teinte bleutée du couchant. Il aurait dû se résigner à la mi-journée, et même avant cela. S'ils avaient dû revenir, ils l'auraient fait sous une heure, peut-être deux. Pourtant, pourtant, Julius n'aurait en aucun cas pu commettre pareille chose. Et n'était-ce donc pas la preuve que son ami n'était pas à la tête de la rébellion ? Mais c'était, sinon impossible, tellement difficile à concevoir. Comment un homme tel que lui aurait-il pu s'associer avec pareille compagnie et, pire encore, en prendre ses ordres ? Non, il devait encore patienter. Les émissaires reviendraient. Et cependant, il savait qu'ils ne reviendraient pas. 

Reinhardt tournait en rond. Il se passa une main sur le visage et, de guerre lasse, se persuada qu'il était temps d'agir. Ses hommes, dont l'allégeance ne tenait déjà qu'à un fil, ne comprenaient pas cette attente. Et comment l'auraient-ils pu ? Lui-même ne parvenait pas à la justifier. Se souvenant qu'Ols attendait quelque chose qui pourrait s'apparenter à une réponse, il se racla la gorge et tâcha de paraître déterminé.

—  Commandant.

—  Oui, mes excuses, fit le vétéran après un instant d'hésitation. Je disais, ils ne reviendront pas, mon commandant.

La chose était aussi surprenante pour Ols que pour lui, et il ne pouvait pas lui en vouloir. L'homme avait connu deux campagnes de pacification du royaume, élevé quatre enfants et enterré deux femmes. Lui-même capitaine, il ne s'attendait pas à se voir affublé d'un nouveau commandant, et encore moins à ce qu'il s'agisse de Reinhardt. Il l'avait connu alors que Reinhardt venait à peine de faire son entrée dans la garde, n'ayant alors ni moustache ni pièces pour se payer à manger. Il eut été flatteur de dire qu'il s'était montré tendre avec le jeune garçon de l'époque mais au moins s'était-il comporté comme une sorte de père avec lui, de même qu'avec les autres enfants des rues. Pas un père très aimant, mais un père quand même. Reinhardt savait ce qu'il lui devait. Si la formation de la garde royale n'avait pas à proprement parler pour but de vous tuer, les enseignants ne déployaient pas non plus d'efforts faramineux pour vous conserver en vie. Etrangement, les enfants sans le sou tendaient à mourir plus fréquemment que les autres.

Reinhardt avait survécu. Un peu grâce à Ols, peut-être. Beaucoup grâce à Julius. Etrange comme un bon mot échangé, un sourire rendu et un soirée hors des murs du château peuvent forger toute une vie. Reinhardt aurait pu être ami avec n'importe lequel des apprenti combattants de Blanc, mais le hasard et quelques instants de connivence avaient fait de lui l'ami d'un prince. Serait-il commandant en ce jour s'il n'avait pas fini par sourire ? La réponse était simple, écrasante de son évidence. Que serait-il ? Serait-il seulement ?

Etre l'ami du prince, toutefois, n'était pas être prince. Cassius le lui avait nombre de fois fait comprendre, à sa manière subtile. Yllivus également, à sa manière qui l'était moins. C'était inutile, cependant. Reinhardt n'avait jamais oublié d'où il venait, jamais méprisé l'insolente chance qui avait fait de lui ce qu'il était. Il n'avait aucun droit, ni aucun mérite d'occuper sa place. Il le faisait simplement, en attendant que quelqu'un vienne le remettre à celle qui était véritablement la sienne. Car la fin était peut-être proche, peut-être pas, mais elle était inéluctable. Voilà pourquoi il avait gardé ses semblables, ceux qui avaient survécu, près de lui. Et voilà pourquoi il n'en avait pas fait de même pour ceux qu'il aimait.

They who grow smallerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant