Epilogue 3

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Les murs de pierre clignotaient, passant d'un noir de jais à une blancheur aveuglante. L'intervalle était parfois long, parfois presqu'immédiat. Depuis qu'il arpentait le couloir - et il l'avait toujours fait, lui semblait-il -, il n'y avait trouvé aucune logique, aucun schéma répétitif. Bien sûr, c'était l'objet de la chose, mais cette seule pensée donnait le vertige. L'objet était précisément de ne pas avoir d'objet, et en cela le château était l'essence de la terreur.

Le sol que ses pieds foulait devenait un mur, ou le plafond, et alors il basculait, mais pas totalement, et il flottait vers une surface qui serait bientôt un nouveau mur ou un nouveau sol. Le bout du couloir, la porte, était proche, mais il était aussi inatteignable, et il fallait progresser indéfiniment au son des plaintes qui, il s'en rendait de temps en temps compte, étaient aussi les siennes.

Monnengätthar pouvait se révéler d'une brutalité sans nom, mais c'était son château qui réduisait in fine chacun à l'humilité. Là, forts et faibles se voyaient contraints de constater l'immensité écrasante du pouvoir et, en comparaison, l'insignifiance de leur identité. 

Ici, nous ne sommes rien.

Enfin, sa main se posa sur la poignée, et il pénétra dans une antichambre si étroite qu'il dut serrer les épaules pour y pénétrer. Il referma la porte derrière lui et toute lumière quitta la pièce. Il crut alors sentir les murs se resserrer autour de lui, épouser les formes de son corps, le maintenir dans une immobilité aussi parfaite qu'inconfortable. Là, il dut attendre une autre éternité, luttant contre la panique, ne pouvant pas même bouger au rythme de ses sanglots. Il dormit peut-être, quoi qu'il doutât que tel répit lui soit accordé, puis la pièce se retira purement et simplement, révélant un immense bureau rempli d'articles de bois et de fer, de globes et de cartes, d'outils et de linges. 

Rhadamanthe trônait au milieu de la pièce, un air satisfait sur le visage. Derrière lui, la servante continuait à tourner dans son appareil sans même qu'il accorde un regard à ses souffrances.

Irvin ne se rendit qu'alors compte qu'il était agenouillé. Il ne fit pas même mine d'essayer de se relever. Cela aurait été tant irrespectueux qu'impossible. Rhadamante l'interrogea en levant le menton.

—  Ils sont en route, maître. L'Ouvreuse a finalement entamé son pèlerinage. Le Protecteur et la Mère se sont lancés à sa poursuite.

Ils ne la rejoindront pas.

La pensée s'était infiltrée dans son esprit avec la douceur d'une lame qui aurait déchiré ses chairs. Il en allait toujours ainsi. Irvin serra les dents.

—  Certes, maître. Ils ont trop de retard, et ils sont trop lents. J'ai toutefois bien peur de ne plus avoir de moyen de communiquer avec elle. L'esclave est mort, et mes yeux sont aveugles.

Cela n'importe pas. Elle viendra seule.

Un moment de silence suivit durant lequel Irvin hocha servilement la tête, puis la douleur revint.

Tu as bien agi, Boucher. Ta mission est accomplie. Si je pouvais t'accorder la récompense que tu souhaites, je le ferais. Mais viens, suis-moi.

Irvin n'avait pas réellement le choix en la matière. Son esprit saignant d'avoir ainsi été lacéré par l'intrusion de son maître, il ne put qu'assister à la rotation des pièces sous ses jambes, et bientôt c'est sur un sol de marbre qu'il fut agenouillé. Luttant de tout son être pour ne pas s'évanouir, il parvint à retrouver un semblant de lucidité et leva les yeux, constatant alors que Rhadamante et lui se trouvaient au sein du conclave. 

En demi-cercle, le conclave se trouvait dans les entrailles du château. Taillée à même la roche d'un blanc bleuté, la pièce accueillait un promontoire majestueux en forme d'éventail qui surmontait les gradins de roche sur lesquels ils se trouvaient, comme une centaine d'autres âmes de Monnengätthar. Là haut, une vingtaine de mètres au-dessus d'eux, Magnus était entouré de ses deux vierges. Les jeunes filles, portant une robe d'un blanc immaculé et un bandeau constamment ensanglanté sur les yeux, tenaient chacune une bol d'encens à hauteur de tête.

Le prêtre psalmodiait quelques mots inintelligibles lorsqu'il prit conscience de la présence du maître. Sa longue chevelure et sa barbe ivoire pouvaient laisser penser qu'il était âgé et faible, mais Irvin savait ce qu'il en était réellement, et la révérence dont il faisait montre envers Rhadamanthe n'était qu'une preuve supplémentaire de l'absurdité de son pouvoir. Magnus attendit donc, tête basse, que le maître lui donne l'ordre silencieux de poursuivre et, lorsqu'il le fit, ce fut d'une voix claire et dans un langage que tous pouvaient déchiffrer.

—  Car le Protecteur n'a-t-il pas fait naître les flammes en la Vallée, frères et sœurs ? 

Il laissa l'audience émettre une assentiment sourd, tandis que les vierges agitaient leur encens, puis reprit.

—  La Mère n'est-elle pas sur le point d'enfanter ?

Un nouveau grognement, trahissant une sorte viciée de plaisir qui lui donna la nausée, émana des gradins.

—  L'Ouvreuse, hurla Magnus, n'est-elle pas en chemin ?

Le vacarme devint tout à la fois assourdissant et si malsain qu'Irvin ferma les yeux dans une vaine tentative pour se protéger de la scène qui l'entourait. Il tenta de porter les mains à ses oreilles, mais arrêta son geste lorsqu'il sentit la déchirure des mots de Rhadamante qui s'introduisaient dans son esprit.

Ecoute, Irvin, écoute.

—  Et l'Ouvreuse ne va-t-elle pas nous délivrer, frères et sœurs ? Ne va-t-elle pas nous donner ce que nous appelons de nos vœux ? Ne va-t-elle pas, enfin, mettre fin à nos misérables vies ?

Le chœur des grondements de plaisir provenant des gradins fut plus fort que jamais. Cette fois, la voix d'Irvin se mêla aux autres.

Par pitié, oui, pensa-t-il avant de sombrer dans l'inconscience.

They who grow smallerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant