7 - Jack

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Lorsqu'il avait reprit connaissance, Jack était en train de passer en revue les statistiques de vente du trimestre devant son directeur.

Il maîtrisait son sujet, mais il ne savait jusqu'alors pas qu'il était en mesure d'en faire l'exposé alors qu'il était inconscient. Vraisemblablement, cela n'avait pas posé de problème, et le directeur du département semblait même satisfait de sa présentation. Rien d'autre n'importait que la bonne santé du business, se douta-t-il. Il se posa brièvement la question de son utilité réelle, dans l'entreprise et dans l'absolu, mais il fut surtout soulagé de ne pas avoir créé d'incident.

Une fois la réunion terminée, il sortit faire un pause, à la recherche de quelqu'un à qui demander une cigarette. Il avait arrêté voilà plusieurs années mais peut-être était il temps de reprendre. Il ne trouva personne. L'après-midi touchait à sa fin et les fumeurs étaient déjà rentrés pour finir leur journée de travail. Il resta donc dehors, près de la zone sur laquelle les livreurs venaient se garer, et se contenta d'observer les nuages qui commençaient à s'amonceler.

Il resta là un moment, et ne rentra que lorsqu'une des filles de son équipe vint le chercher. Le téléphone de son bureau ne cessait de sonner. Il s'enferma, s'assit et décrocha, étouffant un soupir lorsqu'il entendit la voix de Rachel. Ce n'était pas le moment pour lui parler. Ce n'était jamais le moment. Leur relation périclitait jour après jour, et il ne s'était toujours pas résolu à crever l'abcès. D'une certaine manière, il espérait toujours que son état finirait par s'améliorer. Son état. Il ne savait pas quel autre mot utiliser. Peut-être était-ce une maladie, auquel cas il faudrait effectivement l'interner. Mais il ne pouvait pas s'y résoudre. Il y avait forcément une explication rationnelle à tout cela. Il fallait qu'il y en ait une, quelques minces puissent être les chances, car sinon il aurait définitivement perdu pied. 

Ainsi, son recours avait été d'en dire autant que possible à la police. De leur parler d'Andrew. D'Abby aussi. Une expérience humiliante, et il était tout à fait certain que le rapport avait été mis à la poubelle, mais il n'était plus en position de refuser une aide potentielle.

Il finit par se concentrer sur la voix de Rachel, qui s'égosillait au bout du fil.

— Jack ! Bon dieu, réponds-moi ! Tu m'entends ?

— Oui, oui je t'entends.

— Qu'est-ce que tu faisais ? Ca fait bien vingt minutes que je t'appelle !

— Je bossais, désolé. Qu'est-ce qui se passe ?

- Il y a deux personnes à la maison qui veulent te parler, fit-elle en baissant la voix (il entendait des bruits de pas derrière elle). Deux enquêteurs. Ils ne veulent pas me dire pourquoi. Qu'est-ce qu'ils te veulent, Jack ?

- J'en sais rien, bredouilla-t-il. J'arrive.

Il serra les poings et chercha quelque chose dans quoi frapper, puis s'obligea  se calmer. Quel manque de chance ! Les policiers voulaient certainement lui parler d'Andrew, et ils avaient rappliqué chez lui au lieu de le faire venir. Pour l'instant, Rachel ne savait rien, mais il n'allait pas pouvoir lui cacher la vérité plus longtemps. Peut-être étaient-ils en train de lui en parler en ce moment même. Comment allait-il lui expliquer tout ça ? Et, déjà, qu'allait-il lui dire ? Devait-il simplement lui parler de la mort d'Andrew ? Mais dans ce cas, comment éviter d'évoquer son enfance avec son père, l'incident du lac ? Et Abby ? Non, il ne devait pas lui parler d'elle.

Il récupéra ses affaires et partit précipitamment. Sam, la secrétaire, lui lança un "au revoir, chef" tandis qu'il franchissait la porte. Il esquissa un faible sourire, conscient que son inquiétude devait transparaître sur son visage. Il pressa le pas sur le parking, monta dans sa Plymouth et fonça.

They who grow smallerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant