4 - Abby

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La sonnerie de quatre heures retentit. Abby n'irait pas en cours de maths, aujourd'hui.

Les adolescents se pressaient dans les couloirs, riant ou trainant la patte. Lorsqu'Emily, Charly et James passèrent devant elle, elle feignit de chercher quelque chose dans son sac à dos pour ne pas avoir à croiser leur regard. Mieux valait faire profil bas, elle en avait assez fait pour aujourd'hui. Une fois qu'ils furent passés, elle s'intéressa toutefois à la manière dont Emily avait essayé d'arranger ses cheveux. Pas très bien, jugea-t-elle, mais elle ne pouvait pas faire de miracles.

Quelques instants plus tard, alors que tout le monde était rentré en classe, monsieur Walker arriva, la clope au bec et tenant Jeremy Locke par le bras.

—  Vous n'avez pas le droit de fumer ici, fit-elle avec un sourire.

Il se contenta de lui faire un signe du menton et tira une nouvelle bouffée. Monsieur Walker était le professeur le plus jeune du collège, et les parents ne l'aimaient pas énormément. Les jeunes, beaucoup plus. Les manches de sa chemise retroussées, il dévoilait aujourd'hui un tatouage sur son avant-bras qu'Abby n'avait jamais vu.

Sans ménagement, il installa Jeremy à côté d'elle. Le garçon avait une mine renfrognée. A quinze ans, il en paraissait au moins cinq de plus, portait en permanence une veste de baseball et semblait se considérer comme un futur joueur professionnel. Il n'était pas méchant, mais pas bien malin non plus. C'était un des rares collégiens avec qui Abby s'entendait relativement bien. Elle ne le détestait pas, en tout cas.

—  Voilà champion, tu bouges pas de ton banc, lui lança le professeur sans enlever la cigarette de sa bouche. Wilson s'occupera de toi dès qu'elle en aura fini avec milady.

Abby haussa les sourcils mais Walker avait déjà tourné les talons, sa tâche de gardien de prison accomplie.

—  Putain, je vais me faire défoncer, lâcha Jeremy en se prenant la tête dans les mains.

—  T'as fait quoi ? lui demanda Abby, tant par curiosité que pour oublier qu'elle serait la première à y passer.

—  J'ai pissé sur le gant de Timmy.

—  T'as quoi ? ! Sérieux, t'es complètement con !

—  Ce connard avait insulté ma mère, et je pensais vraiment pas que j'allais me faire prendre. Mais Walker était en train de glander dans les vestiaires et il m'a entendu. Je te jure, j'ai pas de chance.

Sur ce, ils partirent tous les deux d'un fou rire qui ne fut interrompu que lorsque la porte de l'intendante s'ouvrit. Elle ne prit même pas la peine de sortir de son bureau, se contenant de hurler pour l'appeler : 

—  Mc Mannaman !

—  C'est à toi, fit Jeremy.

—  Souhaite-moi bonne chance. 

Madame Wilson était une vieille bonne femme rondelette dont le visage dur était surmonté par de petites bouclettes blanches qui étaient vraisemblablement entretenues à l'aide de bigoudis. L'intendante, ou le caporal-chef comme la surnommaient les élèves, n'aimait pas son travail. Quiconque avait eu la désagréable expérience d'être reçu dans son bureau avait pu constater qu'elle goûtait fort peu d'être entourée de jeunes gens. En tant qu'invitée régulière des lieux, Abby n'avait aucun doute à ce sujet.

La jeune fille s'installa donc une énième fois dans la chaise des accusés et fit l'inventaire des innombrables bibelots disposés un peu partout dans la pièce tandis que l'intendante finissait de taper quelque chose sur son ordinateur. Le lapin en céramique avait bougé, remarqua-t-elle. Pas la photo de Kennedy découpée dans un journal. Futur président, disait-on, et déjà il avait gagné le cœur de cette bonne madame Wilson.

They who grow smallerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant