21 - Tark

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La caravane des Modestes n'avait gère parcouru que deux à trois lieues lorsqu'il la rejoignirent. Comptant non seulement une cinquantaine de cavaliers, mais au moins le double de fantassins et une masse grouillante de gens du communs, elle avançait à faible allure, et ce d'autant plus depuis que des éclaireurs étaient envoyés au-devant.  Ce qui, une semaine en amont, n'avait été qu'une mesure de sécurité épisodique était maintenant devenu leur quotidien. Et il ne se passait plus un jour sans que de nouveaux infectés ne soient découverts.

Stones l'avait lui-même admis, il l'avait au départ inclue à ces sorties dans le but d'inculquer une once d'humilité et de tolérance aux recrues les plus récalcitrantes. La dernière mesure avant d'en recourir aux punitions, somme toute. Compte tenu de l'absence de mansuétude de leur commandant, c'était là une occasion à prendre.

Les infectés s'étaient multipliés sur leur route, toutefois, et le caractère pédagogique des expédions avait alors disparu. Nécessité faisant loi, Stones avait promu Tark au rang de responsable des éclaireurs. Elle refusait catégoriquement ce titre, qui aurait concrétisé son association à ce ramassis d'illuminés, mais ne s'en acquittait pas moins de sa tâche. Personne n'aimait être affecté à son escouade car rien ne garantissait le retour d'une mission mais, de fait, il y avait toujours des places à prendre. Se retournant pour presser les deux hommes qui s'essoufflaient à la suivre, de grosses gouttes de sueur ruisselant à leur front trop clair, force fut pour Tark de constater que cette fois ne ferait pas exception. Au-delà du petit roux dont ils croiseraient à nouveau le cadavre au bord de la rivière, elle n'était pas certaine que le plus âgé des deux hommes restants survive à ses blessures. L'entaille à son flanc n'était pas trop profonde, mais elle avait été faite par du Kahl et la plaie avait commencé à suppurer. En réalité, même si cette pensée la dérangeait quelque peu, elle devait admettre être impressionnée qu'il ait réussi à la suivre jusque là.

Les cavaliers en tête de la caravane pressèrent l'allure lorsqu'ils les aperçurent, accompagnés d'une poignée d'hommes et de femmes du commun. Avant même que Mary et Stones - qui chevauchaient en tête - aient pu les rejoindre, une jeune femme à la figure recouverte de tâches de rousseur fut sur elle et lui attrapa le bras. Elle demanda de manière instante des nouvelles d'un certain Tobias, et Tark finit par comprendre qu'elle faisait référence à celui de sa troupe qui était tombé au combat. Elle se contenta de hocher la tête et la femme se laissa pathétiquement tomber à terre dans un déluge de pleurs.  Tark la considéra quelques instants, mais elle n'avait rien à lui dire. Elle n'éprouvait ni regrets pour Tobias, qui avait été faible, ni peine pour la femme, qui l'était toujours.

Une faible mélodie dissonante tinta à ses oreilles, se terminant par la note aigue qui faisait office de point d'interrogation.  

—  Un campement de fortune, à quatre lieues d'ici, répondit-elle en levant les yeux vers Mary. Cinq infectés, a bout de force et mal nourris. Mais des infectés quand même. Un mort chez nous, bientôt deux sans doute. 

Quelques notes graves et lentes, puis un nouveau son aigu.

—  Tous morts. On a poussé un peu plus loin, presque sous la falaise. Si nous avançons vite, il ne devrait plus y en avoir jusqu'à la ville.

Mary hocha la tête et regarda Stones, qui avait fait arrêter son cheval juste à côté d'elle. Leurs traits, à l'un et l'autre, étaient si cernés qu'on aurait pu croire qu'ils commençaient eux aussi à ressentir le Mal. Leurs suivants ne s'en souciaient guère, puisqu'à l'instar des autres Modestes, ils se faisaient passer pour des Incapables, et étaient donc sensés être fermés au Kahl. Tark savait qu'il n'en était rien, mais elle savait aussi que c'était l'inquiétude qui rongeait leurs traits, pas l'infection.

They who grow smallerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant