36 - Tark

7 0 0
                                    


Du feu qui avait veillé sur leur sommeil ne subsistait que quelques braises et la lumière de l'aube, qui formait ça et là des reflets irisés dans la neige, mettait cruellement en évidence la fatigue sur leurs visages.

Bien qu'au bord de l'épuisement - elle avait, en plus de son tour de garde, assuré celui des adolescents -, Tark s'étira puis, pesamment, s'approcha d'Abby et de Rolféo alors qu'ils s'éveillaient. Ces deux-là avaient dormi côte à côté, ensevelis sous une pelisse ramassée dans les Marais qui faisait maintenant office de couverture de fortune. Le sommeil de l'Ouvreuse avait à nouveau été agité. Leur première nuit, après la fuite de Blanc, avait été encourageante, mais ses mauvais rêves étaient revenus, quels qu'ils puissent être, et cela ne faisait qu'empirer. Toujours devait-elle reconnaître à la jeune fille qu'elle n'en pipait pas mot. Abby ne se plaignait jamais, quand bien même sa souffrance était évidente. Cela avait le don d'inquiéter Jack. Tark savait qu'il était dévoré par les traitements qu'elle avait pu subir dans les geôles du château, et elle partageait son sentiment. L'un comme l'autre s'étaient toutefois gardés de questionner Abby plus avant, et cette dernière n'avait pas souhaité se livrer à ce sujet. Ainsi, ils gardaient craintes et peine pour eux.

Pour le reste, c'était Jack qui avait vraisemblablement connu le sort le plus violent, ce qui n'avait rien d'une surprise. Tout faible qu'il fut - et il l'était -, l'homme semblait proprement incapable de lâcher prise. Cette considération la laissait perplexe. Elle ne parvenait pas à concilier son discours, résolument décidé à les abandonner dès que l'occasion se présenterait, avec ses actes. Il aurait pu à bien des reprises abandonner Abby à son sort et s'en tenir à sa parole, mais jamais il ne l'avait fait. A présent encore moins qu'auparavant.

La cruauté de son traitement ne devait rien au hasard. Tark n'avait pas honte de l'avouer, elle avait rapidement craqué sous les menaces. Chacun en avait fait autant, il en allait d'un simple instinct de préservation. Ses geôliers n'eurent pas à faire montre d'une force démesurée pour qu'elle renie sa mission, sa dévotion à l'Ouvreuse, à sa tribu. Les plus jeunes en avait de toute évidence fait autant. Mais pas Jack. Pas le Protecteur. Lui avait du lutter, mentir, cacher des vérités sous d'autres vérités. Ce genre de procédés n'avait aucune chance de fonctionner, n'aboutissait qu'à plus de coups, plus d'humiliations, puis la mort. Elle se doutait cependant que cela n'avait pas dû le décourager. Peut-être s'imaginait-il faire preuve de courage. Il s'agissait tout bonnement de stupidité.

Comme toujours concentré sur la tâche la plus pressante, il s'affairait à présent à nourrir Norse en essayant de ne pas se faire mordre. Leur première prise de guerre s'avérait assez récalcitrante, et ce malgré les liens de corde qu'ils lui avaient passés. L'homme était grand et massif, impressionnant même ainsi ligoté. Un soldat de cette stature leur aurait été d'une aide précieuse mais s'ils n'avaient pas le luxe de cracher sur une paire de bras, ils n'avaient pas non plus celui de continuer leur retraite en compagnie d'un potentiel ennemi. L'allégeance de Rose et de Wayne à leur prince était chose sûre, celle de Norse hypothétique, et ainsi avaient-ils scellé son sort. 

Julius, quant à lui, avait changé. C'était leur cas à tous. Leur marche à travers le Marais, fut-elle seulement de quelques jours, avait été le catalyseur d'une métamorphose aucun nul n'échappait. Certains grandissaient, d'autres rapetissaient. La stature de Julius, en l'occurrence, avait fondu comme neige au soleil, et en conséquence il devenait un homme plus grand. Il faisait petit à petit la découverte du doute et des remords, arpentait le chemin de l'humilité. Tiraillé entre son vœu de protéger l'Ouvreuse et sa loyauté envers son peuple, il se faisait par ailleurs le relai du commandement improvisé de Jack. Mais, plus que tout, il souffrait du manque de considération du Protecteur, trop plongé dans les méandres de sa détermination pour lui accorder la possibilité de se repentir. Ainsi, c'était Tark qui l'écoutait et faisait en sorte d'apaiser son âme.

They who grow smallerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant