19 - Jack

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Jack ne s'étonna même pas de voir son premier aarang. La bête était telle qu'il se l'était imaginée en consultant les grimoires des Rolféo : une longue tête pointue surmontée d'une sorte de crète étroite, des ailes de chair de plusieurs mètres d'envergure et des pattes arrières osseuses au bout desquelles se devinaient des griffes acérées. Un sorte de ptérodactyle, se dit-il tandis que le volatile planait paresseusement au-dessus d'eux en émettant des cris stridents.

La présence d'un tel animal lui paraissait étrangement naturelle, et son unique surprise était de ne pas en avoir croisé un auparavant. Voilà maintenant neuf jours qu'ils marchaient dans le sable et la poussière, et leur solitude n'avait jusqu'alors été troublée que par les sortes de taupes locales qui pointaient parfois le bout du museau hors de leur terrier, et dont il ne parvenait décidemment pas à mémoriser le nom.

L'aarang était décrit comme un animal inoffensif pour l'homme, carnivore mais trop craintif pour tenter une approche. C'était une chance, car ils n'auraient eu aucune chance face à un monstre de cette taille. Pour toute arme, ils disposaient de la dague que Jack avait prise à l'un des moines, et d'un bâton de marche que Rolféo avait trouvé sur le chemin. Et ils étaient fatigués, épuisés de leur trajet.

Une marche si longue à travers le désert était un périple en soi pour un groupe bien équipé, ce qui n'était pas leur cas. Les Rolféo n'étaient pour ainsi dire jamais sortis de leur monastère, et le résultat était criant. Cela signifiait que leurs poursuivants ne seraient probablement pas en mesure de les traquer dans le désert, mais également que leurs paquetages étaient nettement insuffisants pour le voyage. 

S'ils'en étaient accommodés en rationnant leur nourriture, restait le problème de trouver un abri pour la nuit. Le soleil était brûlant durant la journée mais, dès qu'il se couchait, la température chutait brusquement et leurs couvertures légères ne suffisaient pas à les maintenir au chaud. La première nuit fut brutale car, ne trouvant pas d'abri, ils établirent tout simplement leur camp au milieu de dunes modestes qui ne les protégèrent quasiment pas des bourrasques de vent qui se levèrent. Chacun d'entre eux savait alors que l'expérience serait rude, mais aucun n'avait anticipé à quel point. Le froid glacial s'infiltrait par chaque ouverture de leurs vêtements et le sable soulevé par le vent venait griffer leur peau, les aveuglait douloureusement s'ils ouvraient les yeux. Ils se pelotonnèrent les uns contre les autres, ce qui fut d'un réconfort tout relatif, et souffrirent cette nuit qui leur parut interminable. Au petit matin, ils étaient à moitié sourd, grelottants et déterminés à ne pas revivre pareille torture.

Leur progression devint donc plus mesurée les jours suivants, l'objectif principal devenant de trouver une des grottes parsemant le désert dans laquelle ils pourraient se terrer à la tombée de la nuit, et ce même si cela impliquait parfois d'arrêter leur marche alors que le soleil était encore haut dans le ciel. Le calcul était toutefois subtil, dans la mesure où ils devaient surveiller leurs réserves d'eau, qui était une ressource bien plus cruciale et bien plus limitée encore que la nourriture. Jack vérifiait le niveau de leurs gourdes de fortune plusieurs fois par jour, souvent même alors qu'ils n'avaient pas bu entre deux mesures, et essayait d'effectuer les arbitrages qui lui semblaient adéquats. A plusieurs occasions, il dut convaincre Abby et Rolféo d'abandonner une grotte pour poursuivre leur marche alors que l'après-midi était déjà bien entamé, car prendre trop de retard sur leur marche ne les mènerait qu'à leur mort.

Les grottes offraient une protection suffisante. Il n'y faisait pas chaud, mais on n'y mourrait pas de froid, et les gifles de sable leur étaient épargnées. Lorsqu'ils en repéraient une, Jack effectuait un rapide repérage pour s'assurer que l'endroit n'était pas occupé - si la vision de l'aarang ne le perturbait pas, il n'avait en revanche aucune envie de se retrouver nez à nez avec un charmoleur, les dévoreurs de peau -, mais ils n'avaient à date jamais fait de mauvaise rencontre.

They who grow smallerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant