14 - Jack

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—  Tu m'écoutes, papa ?

Jack secoua doucement la tête, ne sachant trop quoi répondre. Abby lui adressa un sourire indulgent et continua à déambuler gaiement en jonglant avec une pomme de pin.

—  Je te disais que ce qui aurait été génial, ça aurait été de prendre des chamallows ! On aurait pu les faire griller, comme dans les films. Je sais, ça fait un peu cliché, mais ça serait cool, non ? Et puis il y a autre chose, mais ça me gêne un peu de te le demander. C'est bête mais...la prochaine fois, je pourrais emmener une copine ? Oh, juste une, hein. Enfin (elle se renfrogna quelque peu), le truc c'est que j'ai pas de copines. Mon ancien père, il aurait bien aimé que je me fasse des amis, mais en même temps on n'arrêtait pas de déménager, et je n'avais pas le droit de faire des activités normales. Comment j'étais censé me faire des amis, moi ? Enfin, toi, tu pourrais m'aider ? Tu pourrais m'apprendre être plus...sympa ?

—  A être sympa ? bredouilla Jack.

—  Ouais, répondit l'adolescente avec enthousiasme, abandonnant sa pomme de pin pour jouer avec une mèche de ses cheveux blonds. T'es marrant, je suis sûre que tu dois avoir des tonnes d'amis. Et puis tu organises toujours des trucs géniaux. Je te jure, cette sortie camping, c'est le truc le plus cool que j'ai jamais fait.

Abby était en plein délire, et il ne savait pas comment réagir. Depuis quelques heures, ou quelques jours peut-être - il lui semblait perdre la notion du temps - elle était convaincue qu'il était son père et elle n'avait eu de cesse de lui parler de sa vie d'adolescente, de sa frustration d'avoir eu une enfance isolée. Elle tournait en boucle, il savait déjà quel serait le prochain sujet et il le craignait d'avance. Malheureusement pour lui, elle ne le fit pas attendre bien longtemps.

—  J'ai pas d'amis garçons non plus, se lamenta-t-elle. Je veux dire, ils ne me regardent même pas. C'est pas normal, non ? Enfin, ne t'inquiète pas papa, c'est pas que j'ai envie d'être avec un garçon, mais les autres filles n'arrêtent pas de parler de ça, et moi je me sens comme...invisible. Dis, tu crois que je suis moche, c'est ça ?

Jack ne prit pas la peine de répondre. Il ne voyait ce qu'il aurait pu dire et, de toute manière, rien ne semblait en mesure de la rassurer. Elle passerait vite à un autre sujet et lui demanderait bientôt si elle pourrait s'inscrire à un cours de danse lorsqu'ils rentreraient à la maison.

Il inspecta les environs, sachant qu'il était censé chercher quelque chose sans savoir exactement quoi, avec un besoin désespéré de focaliser son attention sur autre chose que les divagations d'Abby ou de cette certitude qui s'introduisait de manière lancinante dans son esprit. S'il ne parvenait pas à se concentrer, il se trouverait sous peu submergé par ses émotions, et il a avait la conviction qu'il ne parviendrait alors plus à reprendre le contrôle.

—  Je vais voir ce qu'il y a de ce côté, fit-il en désignant un endroit où la clairière devenait plus parsemée. Attends-moi ici.

—  D'acc', fit joyeusement Abby.

Puis, tandis qu'il s'éloignait, elle ajouta : 

—  Papa, je suis vraiment contente d'être avec toi.

XXX

Jack avançait à travers bois aussi vite qu'il le pouvait, pas tant pour découvrir ce qui se cachait derrière les interminables rangées d'arbres que pour fuir les conclusions qui s'imposaient à lui. Il se forçait à ne pas penser, ne pas résonner, se concentrait sur ses prochains pas, la prochaine direction qu'il devrait prendre. Il marcha suffisamment longtemps pour ne plus être certain de pouvoir retrouver son chemin jusqu'à Abby. Peut-être était-ce mieux ainsi.

They who grow smallerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant