22 - Jack

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—  On reprend. Ton nom ?

Ca allait être le quatrième cycle de questions. Jack était épuisé, sa joue gauche lui cuisait et sa gorge était à nouveau sèche. Faisant doucement cliqueter la chaine de ses menottes, ils se pencha pour attraper son verre et prit une gorgée en fermant les yeux. Une fois de plus, il s'étonna du traitement relativement correct qui leur avait été réservé depuis leur arrestation. Ils avaient été nourris deux fois par jour, on leur avait fourni un jeu de vêtements plus adapté à la région et au froid des cellules, de même qu'une couverture et, jusqu'au début de cet interrogatoire, Jack n'avait pas été battu.

Il aurait sans doute pu en être autrement car, au premier jour de leur incarcération, ils avaient été enfermés dans une grande cellule commune en compagnie d'une dizaine d'autres détenus. Il y avait là des hommes et des femmes d'âges divers et, Jack ayant vu de quoi Julius était capable, il n'avait pas fait cas de sa sécurité, mais il s'était inquiété pour Abby et Rolféo. Julius et lui avaient alors convenu de dormir à tour de rôle , mais ils n'avaient pas même passé une nuit dans la "fosse", comme l'appelaient les gardes.

Leurs geôliers étaient revenus chercher Julius quelques heures plus tard et l'avaient emmené avec eux pour l'interroger. Les trois compagnons étaient alors restés assis, silencieux, en attendant son retour, Jack gardant les détenus à l'œil pour guetter toute signe avant-coureur de menace. Les gardes du Pic étaient revenus seuls, et avaient fait sortir Abby, Rolféo et Jack de la fosse pour les mener deux étages plus bas, vers une série de cellules individuelles. Julius occupait déjà l'une d'entre elles, et Jack fut installé dans celle qui lui faisait face. Les adolescents furent poussés dans la rangée suivante. 

Combien de jours passèrent-ils là, Jack n'aurait pas su le dire, le couloir éclairé par des lanternes ne recevant aucune lumière du jour. Les geôliers étaient toutefois régulièrement relevés - jamais ils ne se retrouvaient seuls - et, à l'allure de la barbe de Julius et de la sienne, il jugeait que leur détention avait a minima duré une semaine. Les gardes les laissaient parler entre eux, aussi se méfièrent-ils et ne communiquèrent-il pour ainsi dire pas. Julius se contenta de dire qu'il avait révélé leurs identités, ce qu'il semblait considérer comme une erreur impardonnable. Jack ne lui en tenait pas rigueur. Si l'homme ne présentait ni blessures ni contusions, il était évident que c'était parce qu'il avait coopéré pendant son interrogatoire. Il aurait été naïf de penser pouvoir cacher des informations à quelqu'un en capacité de vous l'extraire par la force. Peut-être les autres partageaint-ils son avis, peut-être pas, toujours fut-il qu'ils ne dissertèrent pas sur la question. Ils limitèrent leurs échanges au strict minimum, se demandant s'ils allaient bien et commentant la qualité de la nourriture - étonnamment savoureuse et abondante - qui leur était servie.

Le responsable de la cité passa de temps en temps les voir. Il ne déclina jamais son identité, pas plus qu'il ne leur adressa la parole, mais son rang était tout à fait évident. Les gardes en faction redoublaient de marques de déférence devant lui et Jack pouvait presque sentir son arrivée à la tension palpable qui envahissait le couloir à son approche.  Le régent Antony - ainsi qu'il l'avait appris voilà deux tours de gardes - se contentait de les détailler comme des animaux en cage, les étudiants sous toutes les coutures en alternant entre des mimiques perplexes ou intriguées. Parfois - presque à chaque fois, à dire vrai -, il faisait jouer la lance de Julius entre ses mains. L'arme semblait le fasciner, le regard qu'il posait sur elle était bien plus doux et respectueux que celui qu'il accordait à ses détenus. 

Enfin, le régent avait reçu la visite de cet homme, Stones. Un supérieur, indéniablement, mais un supérieur dont il défiait l'autorité. Antony lui avait fait miroiter ses prises de guerre comme il aurait fait étalage de ses richesses, et c'est alors que Jack avait appris le sort qui les attendait. Si Julius était un otage, pour Abby, Rolféo et lui, ce serait la mort. Jack n'avait pas réagi. Il ne s'était pas débattu, n'avait pas crié, n'avait pas même dit un mot. Ni à ce moment ni pendant l'interminable temps flottant qui avait suivi. Il n'avait rien dit lorsqu'ils avaient emmené Julius. Rien dit lorsqu'Abby s'était mise à sangloter. Rien non plus lorsqu'elle l'avait appelé, lui avait dit qu'elle avait peur. Rien lorsque ce fut au tour de Rolféo d'être emmené. Et enfin rien dit lorsqu'ils avaient pris Abby. Elle s'était tournée vers lui alors que les gardes la trainaient dans le couloir, et son cœur s'était serré, mais il resté silencieux.  

They who grow smallerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant