24 - Mary

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Assise en haut des créneaux de la porte est, les pieds se balançant dans le vide, Mary profitait de ces quelques instants de répit entre deux tempêtes. Son instrument reposant auprès d'elle, elle fixait tantôt les étoiles, tantôt la forêt environnante dont les contours ne pouvaient à présent que se deviner, tâches sombres dans la noirceur de la nuit.

Etonnant, se dit-elle, combien ses désirs pouvaient se montrer retors. Enfant, elle aurait tout donné pour quitter les contreforts sauvages d'Irrithi. Elle n'aspirait alors qu'à parcourir les plans, à voir les villes et leurs merveilles.                                                                                                              Les plans elle avait parcourus, les villes elle avait vues et, aujourd'hui, ne regrettait-elle pas de ne pas avoir été aveugle plutôt que muette ? 

Tout était si vaste au-dehors tandis qu'à l'abri des murs, tous étaient si petits.

Philip Antony ne dépareillait pas, en ceci que sa simple présence faisait tout paraître plus grand. Mary n'avait fait sa rencontre qu'une fois auparavant, le lendemain de la prise du Pic, près d'un an en arrière. Il n'était alors un petit sergent protocolaire, nommé à la tête de la cité du fait de son sens de la logistique, de ses accointances avec le reste de la chaine de commandement et de son absence de compétences militaires. Petit sergent alors, petit régent aujourd'hui, mais l'homme se voyait grand.

Rath était en effet un des plans majeurs - sinon le plan majeur -, non pas pour son patrimoine culturel ou historique, mais du fait de son interconnexion avec les autres plans. Les trajets entre les différentes régions impliquaient fréquemment un certain nombre de liaisons, et le placement de Rath en faisait un lieu de passage particulièrement commun. En conséquence, son économie était florissante et, Le Pic étant sa ville principale, elle en était la fleur de lance. Si la logique avait été respectée, un des nombreux royaumes de Ren'Oa y aurait vu une opportunité d'expansion et aurait pris le contrôle de Rath, mais cela n'avait jamais été le cas. C'était d'ailleurs là toute l'histoire des Modestes.

A l'origine du mouvement, il ne s'agissait que d'une poignées de paysans qui avaient entrepris de se révolter contre quelques nobliaux qui abusaient de leur pouvoir. Sans argent, sans organisation et sans espoir particulier de réussir, ils avaient pris un petit château par la force et l'avaient fait leur. Alors, ils avaient attendu que l'armée de leur royaume vienne les renverser et les exécuter. Mais le royaume en question était affairé à d'autres guerres, et leur prise ne représentait pas un enjeu suffisant pour que leur punition dépasse le stade de la menace. La situation s'était enlisée et ils s'étaient retrouvés, à leur grande surprise, à devenir les nouveaux maîtres des lieux. Alors, ils avaient recommencé, un peu plus loin de chez eux. Une fois de plus, ils réussirent. Et, une fois encore, ils n'eurent à en subir aucune conséquence. Ce ne fut que lorsqu'ils eurent pris la moitié du plan des Langres - connu aujourd'hui comme le plan des Modestes - qu'ils durent se rendre à l'évidence.

Les Modestes s'étaient soulevés pour renverser les puissants, mais il n'y avait pas de puissants. Simplement des gens qui avaient plus que d'autres, et qui espéraient intimider suffisamment leur peuple pour le garder sous leur contrôle.

Bien sûr, le duc de Langres finit par se figurer la gravité de la situation, mais il était trop tard. Lorsqu'il envoya ses troupes à la rencontre des Modestes, il se rendit compte qu'il ne lui fallait pas seulement combattre des paysans du sud, mais aussi ses propres boulangers, les archivistes de sa bibliothèque, jusqu'aux femmes qui lavaient son linge. On disait qu'il n'avait que peu goûté la dernière bouteille que son sommelier avait débouchée pour lui.

Ainsi les Modestes étaient-ils apparus dans nombre de plans comme des champignons vénéneux poussant au sein même des villes, et prenaient-ils cité après cité sans qu'une grande résistance ne leur soit opposée. Après tout, sans écuyer ni soldats de première ligne, on trouvait bien peu de nobles prêts à croiser le fer. Ce n'était pas le cas sur tous les plans, loin s'en fallait, mais suffisamment pour que l'espoir d'un peuple dirigé par le peuple devienne raisonnablement envisageable.

They who grow smallerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant