47 - Reinhardt

7 0 0
                                    


Il avait toujours été un piètre cavalier.

Des années plus tôt, c'était dans les écuries de la garde qu'ils s'étaient rencontrés. Reinhardt avait sellé son cheval et finissait de remplir ses fontes quand Julius l'avait surpris. A cette heure tardive, il n'avait pas pensé être dérangé, et il l'avait pris pour un domestique ou une nouvelle recrue. Rien dans sa tenue ni dans son port n'avait alors trahi qu'il s'agissait du prince. Reinhardt avait bien essayé de le faire déguerpir, mais Julius ne voulait rien savoir et il avait commencé à faire un grabuge qui aurait inévitablement fini par les faire repérer, alors il s'était résolu à chevaucher en sa compagnie.

Ensemble, ils avaient franchi les portes de Blanc et laissé leurs chevaux  galoper dans une quasi-obscurité qui aurait pu leur coûter la vie, plus encore car Julius - contrairement à l'usage - se tenait d'autant plus droit dans sa selle que son cheval forçait l'allure. Non, il ne s'agissait pas là de la posture qui convenait à un jeune homme de son rang, mais qu'avait-donc Julius d'un prince, sinon son titre ?

Ils avaient fait halte au bord de la rivière pour y laisser boire leurs montures, et une fois encore Reinhardt avait tenté de se débarrasser de lui, mais Julius répondait au silence par la parole, au mépris par une bonne humeur qui, il ne se l'expliquait toujours pas bien des années après, avait fini par le contaminer. Bien sur, quand il avait sorti son couteau, il n'était pas tout à fait certain de ce qu'il allait en faire, mais c'était finalement pour partager des tranches de viande et de fromage qu'il l'avait utilisé. Autour de leur repas, un somptueux festin en comparaison de ce qu'on leur servait à Blanc, il avait fini par parler de tout et de rien. Surtout de rien, en tout cas pas des sujets qui le tourmentaient habituellement, sa solitude, son sentiment d'infériorité. Julius non plus ne s'était pas livré, maintenant la conversation à un niveau plaisamment superficiel. Ils avaient parlé, ri, et pour finir s'étaient tus en regardant le jour chasser les ténèbres. Alors, Julius lui avait fait remarquer qu'il fallait rentrer, que leurs prochaines leçons commenceraient bientôt et qu'ils seraient durement réprimandés si on découvrait leur escapade. Reinhardt avait hésité, mais finalement il l'avait suivi. Non parce qu'il voulait rejoindre la garde de Blanc, mais parce que poursuivre signifierait ne plus jamais revoir la personne qui, pour lui, se rapprochait le plus d'un ami. Ce qu'ils avaient partagé était bien peu, mais il avait refusé d'y renoncer, et il était donc rentré.

Ce n'était que bien plus tard qu'il apprit qui Julius était vraiment, et cela ne fit que renforcer l'admiration qu'il lui vouait. Car jamais son prince ne dénonça l'apprenti soldat qui avait essayé de déserter en volant un cheval.

Piètre cavalier il était resté, et ainsi Reinhardt comprit qu'il s'agissait de lui bien avant les autres, tandis que la masse de cavaliers qui les prenait à revers n'était encore qu'un mirage lointain à l'horizon, enveloppée dans le nuage de poussières qu'elle soulevait. Nombreux ils étaient, bien trop pour que ses hommes puissent les arrêter, et ils chargeaient à triple galop. Ils seraient obligés de ralentir lorsqu'ils franchiraient les portes du cercle intérieur, qui étaient bien trop étroites pour leur formation, mais ils les frapperaient tout de même avec une violence terrifiante. Julius chevauchait en tête, droit sur sa selle, à la pointe du "v", Victoire déjà pointée vers l'avant.

Reinhardt regarda autour de lui. Ils n'étaient plus qu'une vingtaine maintenant, à l'épicentre de l'enfer qu'était devenu Penance, car le reste des troupes s'était élancé à l'assaut des étages supérieurs. Ceux qui restaient, Fangren le premier, avaient tous le regard fixé sur la horde de chevaux qui fonçait vers eux. Certains étaient tétanisés par la peur, d'autres semblaient croire qu'il s'agissait d'une unité de renfort venus les épauler, mais des renforts n'auraient pas chargé de la sorte. Le Syphon, lui, avait porté une main au-dessus de son œil valide pour mieux discerner les assaillants. Bientôt, un mince sourire étira ses lèvres, et Reinhardt comprit qu'il l'avait reconnu.

They who grow smallerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant