They who grow smaller

15 - Jack

—  Putain, fit Abby puis, à mesure que ses souvenirs lui revenaient, non non non...Jack, ne me dis pas que je t'ai appelé papa !

—  On a d'autres sujets de préoccupation, dit-il en désignant les bracelets qu'il avait passés à son poignet. Tu ne les enlèves sous aucun prétexte. Si je retire les miens, quelle que soit la raison, tu te démerdes pour me les remettre, ok ? C'est ce qui nous empêche de partir au pays des merveilles.

—  Au pays des quoi ?

Il marqua une pause et décida qu'il préférait croire qu'elle se fichait de lui. Dans le cas contraire, il ne voulait pas imaginer le gouffre de culture que cette gamine avait besoin de combler, et il avait encore moins envie d'endosser le rôle de professeur en la matière.

—  Où as-tu trouvé ça ? fit-elle, le tirant de sa contemplation. C'est un peu ésotérique pour toi.

—  Oui, justement. Tu sais, le grand mec qui nous court après ? Eh bien apparemment, il ne nous court plus tellement après que ça. C'est lui qui me les as donnés. Maintenant, je n'ai quand même pas envie d'attendre de voir s'il ne va pas changer d'avis, et je te propose qu'on mette les voiles. Suis-moi, j'ai déniché le lac.

Abby resta interdite un moment, si longtemps que Jack crut d'abord qu'elle était retombée dans un état second. Il se rendit ensuite compte qu'elle était simplement complètement perplexe. 

—  Attends, tu es en train de me dire que tu as copiné avec le type qui essayait de nous tuer, et que vous avez trouvé le chemin du lac ensemble, tout ça pendant que je nageais en plein délire ? Ah, et avant de partir, il t'a filé des reliques pour qu'on ne devienne pas fous à lier ?

—  Euh, ouais, fit-il piteusement. Pas dans cet ordre, mais c'est à peu près ça.

—  Bordel de merde, souffla-t-elle avec incrédulité, le Protecteur, hein ?

Jack sourit malgré lui et lui fit signe de le suivre. Il avait eu toutes les peines du monde à retrouver le chemin du retour et ils avaient un peu de route à faire. Mieux valait pour eux qu'ils arrivent au lac avant la nuit, sans quoi ils risquaient de se perdre une fois de plus. Abby jacassait dans son dos tandis qu'ils avançaient, passant la moitié de son temps à s'excuser de ce qu'elle avait pu dire, l'autre à se foutre de lui en vantant ses exploits.

Un point le tracassait particulièrement. Depuis le point de vue qu'il avait occupé avec Roger, il n'avait aperçu ni âme qui vive ni habitation, pas même la cabane dont il se souvenait. Un partie du lac était masquée, mais elle était assez éloignée, et il lui semblait assez improbable qu'une habitation s'il n'y avait rien, comment l'oncle d'Abby saurait-il où retrouver ? S'il les attendait, où et depuis quand ? Et pourquoi n'était-il pas venu les chercher ? 

Mais ce n'était pas l'incongruité de la situation qui le dérangeait. Après tout, sa vie n'était depuis quelques temps qu'une suite d'événements hautement improbables. Non, ce qui le gênait était qu'Abby restait volontairement évasive quand il essayait de la questionner. Pire, elle essayait de se montrer subtile dans sa manière de donner des demi-réponses, ce qui n'avait pas l'effet escompté. Peut-être cette gamine était elle surhumaine, peut-être était-elle l'élue d'un peuple mystique, l'Ouvreuse de runes, mais en ce qui le concernait, elle mentait encore comme une enfant.

Toujours était-il que Jack ne dérogeait pas à sa mantra, et poursuivait méthodiquement l'objectif qu'il s'était donné. Il avait décidé de l'emmener au lac, et au lac ils iraient. Même si, il en était bien conscient, c'était une foutue erreur.

XXX

Ils arrivèrent au point de vue au bout d'une petite heure de marche. Jack s'était attendu à ce que ce soit plus long, mais il avait probablement fait d'inutiles lacets lors du retour, et il eut donc la plaisante surprise de poser à nouveau les yeux sur le lac alors que le soleil était encore haut.

Jack avait craint que Roger ou, pire, Darrow les attendent lorsqu'ils reviendraient, mais ce n'était pas le cas. Abby et lui étaient seuls, aucun bruit ne trahissant la présence d'intrus.

Le lac était magnifique, il devait l'admettre, tout autant que dans son souvenir. L'eau turquoise scintillait à, il l'estimait, une quinzaine de mètres en contrebas. Le soleil se reflétait étrangement à un point précis non loin de leur position, semblant plonger dans l'eau à la manière d'un laser. Ou, se dit Jack, plutôt comme si la lumière provenait des profondeurs et remontait vers la surface. Il fit à nouveau le tour du lac du regard. Comme la première, il ne put pas voir la partie ouest la plus éloignée et il n'y avait toujours aucun signe de vie dans les environs. Abby, à côté de lui, était particulièrement calme, ce qui était mauvais signe.

—  Voilà, on y est. Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? On le trouve comment, ton oncle...

—  Irvin, complèta-t-elle. Je crois que ça ne va pas trop te plaire.

—  Ouais, ben... commença-t-il.

Mais elle l'avait déjà poussé.

Il se crut un instant suspendu dans les airs, la voyant les bras tendus juste après qu'elle l'ait projeté dans le gouffre. Puis il se sentit tomber. Il cria lorsqu'il sentit son estomac remonter dans sa poitrine, la falaise défilant à toute allure devant ses yeux. Il vit un arbre perché sur un appendice rocheux et tendit son bras vers lui, mais eut la présence d'esprit de retenir son geste. Même s'il arrivait à l'attraper, ce qui était extrêmement peu probable, il ne ferait que se rompre le cou en rebondissant sur la falaise. Il accepta donc son sort et, pendant les interminables fractions de secondes qui le séparaient de l'impact, fit de son mieux pour rester droit.

Soudain, un bruit assourdissant, une explosion dans ses jambes, un choc dans son dos et de l'eau. Il s'enfonça et s'obligea à rester immobile, terrorisé tant d'avoir le corps brisé que de perdre son orientation sous l'eau. Il était en vie, c'était au moins cela, même s'il continuer à se sentir plonger de plus en plus bas dans le lac. 

Puis la poussée diminuât, et s'arrêta enfin. Désorienté, il fit rapidement bouger ses membres et n'eut pas l'impression que quelque chose soit cassé ou inerte. Il s'inquiéta ensuite de sa respiration. Par chance, il n'avait pas avalé d'eau en plongeant, mais il n'avait pas non plus inspiré autant d'air qu'il l'aurait fallu. Il devait remonter rapidement. Jack souffla donc un mince filet d'air et se dirigea dans le sens des bulles. Il nagea quelques instants, luttant pour ne pas paniquer tandis que ses réserves diminuaient, et la surface devint enfin de plus en plus claire.  Constatant qu'il allait probablement survivre, c'est alors que sa colère put se rappeler à son souvenir.

- Abby ! Saloperie de gamine, t'as failli me tuer ! hurla-t-il lorsqu'il eut émergé et suffisamment repris son souffle.

Il resta ainsi quelques instants, à patauger pour rester à la surface en criant périodiquement des insultes. Au bout d'un moment, il finit par s'inquiéter de ne pas voir l'adolescente en haut de la falaise, et essaya de jeter un regard autour de lui, mais il s'aperçut alors qu'il devait avoir dérivé vers le point lumineux qu'il avait vu d'en haut, et que la réflexion de la lumière était particulièrement éblouissante à cet endroit. Il se couvrit les yeux d'un bras et eut d'autant plus de mal à continuer à flotter.

- Abby ! cria-t-il une nouvelle fois, son ton à présent empreint d'une inquiétude nouvelle. Abb...

Il ne comprit pas immédiatement pourquoi il ne parvenait pas à articuler la fin de son nom, croyant qu'il avait avalé une gorgée d'eau et s'était étouffé. Ce n'est qu'au bout d'une poignée de secondes qu'il sentit le bras de la jeune fille autour de sa gorge. Il l'attrapa mais elle serrait déjà fort. Tandis qu'il se débattait, elle s'accrocha fermement à son dos et noua ses jambes autour de sa taille, puis l'entraina en arrière. S'ils s'étaient battus sur la terre ferme, il aurait sans doute pu se sortir de cette position mais, dans l'eau, c'était impossible. Sa tête fut bientôt à nouveau sous la surface et chaque effort qu'il déployait l'entrainait un peu plus vers le fond. Abby, dans son dos, ne le lâchait pas, se laissant couler avec lui. Il décida alors d'économiser ses forces, et espéra qu'Abby s'évanouirait avant lui, ce qui lui permettrait de remonter. 

Alors qu'ils coulaient, enserrés l'un contre l'autre, Jack se rendit compte que la lumière provenait bien du fond du lac.