27 - Julius

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Pour ceux qui leurs cœurs noirs révèlent, nulle retenue ne saurait être appliquée.

Julius murmura la phrase, l'un des mantras de Felix, en sortant de sa cellule. La femme lui ordonna - lui ordonna ! - de ne pas bouger et entreprit de libérer ses compagnons mais, déjà, il bondit pour s'emparer de Victoire. Elle eut un petit mouvement de recul, pensant sans doute qu'il allait s'attaquer à elle, mais il se dirigea vers les escaliers et tendit l'oreille. Des bruits de pas, plus haut. Montaient-ils ou descendaient-ils vers eux ? Difficile à dire dans ce vacarme.

L'Ouvreuse, le Protecteur et le jeune Rolféo retrouvèrent leur liberté et Jack se rendit aussitôt auprès d'Abby pour s'assurer de son état de santé. Le petit moine semblait fasciné par la grande femme recouverte de sang. Ils n'avaient toutefois pas le temps de palabrer, et cette dernière tenta de prendre la tête de leur formation, les guidant vers les marches auprès desquelles Julius se trouvait.

Son entrée en matière avait été fracassante bien que, depuis sa geôle, il n'ait vu qu'une partie du combat. Ce n'était pas la première fois que Julius voyait un combattant utiliser le Kahl, loin s'en fallait, mais jamais avec une telle virtuosité. Il était donc logique qu'elle considère que ses qualités martiales faisaient d'elles la figure d'autorité du groupe, mais elle était épuisée, et il était Julius.

Ignorant ses invectives, il gravit donc les marches en tête de file, prenant respectueusement soin de ne pas racler la pointe de Victoire sur le sol. La tour était de pierre, et les sons effroyables résonnaient tant qu'ils auraient pu croire se trouver au beau milieu d'une bataille rangée, pourtant ils purent remonter jusqu'à la surface sans croiser âme qui vive. Là, barrant la sortie du donjon, un soldat du Pic tendis une main gantée vers lui lorsqu'il le vit arriver. Peut-être lui intimait-il de s'arrêter. Peut-être demandait-il simplement de l'aide. Toujours fut-il que l'air siffla et que Victoire se ficha dans son torse, avant de ressortir d'un coup sec. L'homme s'effondra sans grâce et Julius poursuivit son chemin.

La petite placette devant eux était vide, mais grognements, cris et bruits de destruction se faisaient entendre de toutes parts. Julius se retourna pour s'assurer que les autres le suivaient. Il constata qu'Abby était penchée sur le garde qu'il venait de tuer, tandis que Rolféo la pressait d'avancer, la tirant par les épaules. Jack déambulait doucement, le regard rivé sur les cadavres qui jonchaient le sol. Il était évident que le Protecteur n'avait jamais participé à quelque bataille que ce fut. La femme à la peau sombre se porta à sa hauteur, la respiration sifflante mais visiblement toujours apte au combat.

— Il faut sortir par le Nord, Tiberius.

Sa voix était étonnamment grave pour une femme. Il considéra la petite ruelle qui serpentait vers le Nord. Il aurait juré qu'il s'agissait de la direction depuis laquelle le chaos était le plus bruyant mais, de toute façon, le ville entière paraissait en proie aux combats et, in fine, cela importait peu. Si la sortie adéquate impliquait de traverser Monnengätthar, alors c'était tout de même la sortie adéquate. Julius n'avait de plus aucune raison de douter de cette femme, qui les avait secourus.

Si, se reprit-il, il avait en fait toutes les raisons de douter d'elle, mais il n'en avait pas le loisir. Il ne connaissait que peu Le Pic, ce qui était déjà bien plus que ses compagnons, et il ne disposait ni du temps ni des ressources nécessaires pour évaluer la situation par lui-même. S'il lui fallait prendre une décision en de telles circonstances, se fier à celle qui les avait libérés était la moins mauvaise des solutions qui s'offraient à lui.

La femme reprit à nouveau la marche en tête, et Julius la laissa faire. La rue qu'elle empruntait était suffisamment large pour que plusieurs personnes puissent combattre de front si le besoin s'en faisait sentir, et la bienséance lui dictait de ne pas remettre son autorité en cause, toute nulle fut-elle. Il se préoccupa plutôt de rassembler Abby, Rolféo et Jack. Tous semblaient désorientés, ce qui lui sembla naturel. Il ne faisait aucun doute qu'ils n'avaient pas l'habitude de voir des morts, et encore moins des infectés. Des morts, Julius en avait observé plus qu'il ne l'aurait souhaité. Des infectés, quelques uns également. Le second groupe finissait d'ailleurs invariablement par rejoindre le premier.

They who grow smallerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant