16 - Tark

30 1 0
                                    



Tark traquait méthodiquement sa proie, choisissant avec soin les pierres et les racines sur lesquelles elles posait ses bottes fourrées pour ne pas trahir sa présence. La discrétion de son approche était sa priorité. En effet, elle arpentait une colline en surplomb de la piste de son gibier, qui abandonnait derrière lui une trainée écarlate dans la neige. Aucune chance qu'il échappe à sa poursuite.

A une centaine de pas devant elle, et une bonne dizaine de mètres en contrebas, la silhouette de la jeune femme émergeait par moments entre les sapins. Elle boitillait, s'appuyant sur les arbres pour avancer, secouant parfois la neige qui s'accumulait sur son visage. Elle cherchait, comme Tark l'avait anticipé, à regagner sa masure. Les villageois disaient que c'était l'ancien refuge du vieux Chael, mais ce dernier n'était plus. Pourquoi la créature  y avait élu domicile, et pourquoi elle y retournait, la chasseuse ne le savait pas. Mais qu'importe, elle n'y parviendrait pas.

Tark poursuivit sa progression silencieuse, se dissimula derrière un remblais pour l'observer tandis qu'elle arrivait dans une zone dégagée et ne bénéficiait plus de la protection des arbres. La jeune femme semblait paniquée. Elle devait avoir vingt-cinq ans, trente peut-être, de longs cheveux bruns lisses et portait une de ces longues robes en satin que les blanches chérissaient, recouverte d'un mince manteau de fourrure. Ses chaussures, elles les avait perdues et ses pieds devaient commencer à geler dans la neige. De fait, elle avançait par à-coups, trainant tristement ses pattes sur le sol et appuyant d'une main sur la plaie sanguinolente de son aine. Pourtant, elle n'arrêtait pas de chanter.

La chasseuse fit une nouvelle fois l'inventaire de son équipement. Il lui restait deux flèches dans son carquois, et une seule d'entre elles avait une pointe en fer-noir. Son épée courte pendait à sa hanche, et l'entrave que lui avaient fourni les Modestes pesait de tout son poids dans le sac accroché à son dos. Elle sortit une mince lamelle de viande de sa besace, qu'elle entreprit de couper en deux minuscules morceaux à l'aide de son coutelas, puis mastiqua doucement l'un d'eux. Et reprit sa marche silencieuse.

Elle atteignit bientôt le point de vue qu'elle avait marqué lors de son repérage, idéal du fait de l'angle qu'il offrait sur la cuvette en contrebas. Là, elle s'allongea dans la neige et encocha une flèche, celle à la pointe traditionnelle, dans son arc. Elle regarda patiemment la créature clopiner dans sa direction, alors que la neige tombait de plus en plus dru.

Le chant n'était guère plus qu'un marmonnement, mais son écho devenait de plus en plus fort à ses oreilles tandis que la proie arrivait, ses traits se dessinant plus précisément à chaque pas. Une autre chasseuse qu'elle aurait serré son talisman à en faire blanchir ses phalanges, mais Tark n'avait pas besoin de ces bibelots de bonnes femmes. Son Kahl était fort et elle ne connaissait nulle terreur.

 Le teint de la femme était étonnamment clair, se dit Tark alors qu'elle approchait, seules quelques marques sombres semblables à des cernes trahissant la maladie.  Mais l'infection était profonde, son cœur était noir, au-delà de toute purification. Chantonnant tristement sa mélodie de peur, la créature avançait doucement vers le centre de la cuvette, jetant de temps à autres un regard en arrière pour guetter sa poursuivante. Pas une fois, depuis que la poursuite avait démarré, n'avait-elle pensé à lever les yeux. Elle fit une pause pendant quelques instants, et Tark se demanda si elle avait remarqué quelque chose. Peut-être le piège n'était-il pas suffisamment dissimulé. Peut-être la neige avait-elle était balayée pendant la nuit, révélant un fragment de fer. Tark ne pouvait rien voir de là où elle se trouvait, mais cela ne signifiait pas que rien n'était visible d'en bas. Elle banda son arc et se tint prête.

Finalement, la femme reprit tranquillement son chemin. Doucement, elle avança un pied, puis l'autre. Le craquement précéda son cri d'une fraction de seconde. Le piège s'était refermé dans un bruit évoquant un tronc qui se brise, et les dents de fer longues comme des mains avaient mordu profondément sa jambe, brisant les os et déchirant les chairs. La femme poussa un long cri aigu qui se transforma en plainte mêlée de sanglots mais, malgré la douleur, elle reprit rapidement son chant. Tark ne s'en soucia pas, prenant son temps pour verrouiller sa cible.

They who grow smallerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant