39 - Tark

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On eut dit le jeu du capihan, à cela près que le capihan, c'était elle. 

Leurs ennemis fouillaient les maisons, retournaient les décombres, s'infiltraient dans leurs terriers. Le plus souvent, ils ne trouvaient rien, ou simplement quelques hommes libres avec lesquels ils livraient bataille. Parfois, elle était là.

Tark ne pouvait qu'imaginer  la peur que ressentaient les gardes de la Vallée lorsque le premier d'entre eux s'introduisait dans une masure sombre. Peut-être serait-ce celle-là. Peut-être la chasseuse serait tapie dans le noir, guettant leur approche. Si tel était le cas, ils mourraient, avant même d'avoir pu se rendre compte de leur malchance. Ce n'était pas de l'arrogance d'avoir de telles pensées. C'était ainsi, voilà tout. Elle était la bête sauvage qu'ils venaient débusquer et, malheureusement pour eux, ils faisaient office de proie.

Les soldats n'étaient pas inoffensifs à proprement parler. Tous portaient des armes de fer-noir, lances, épées ou haches. Si tel n'avait pas été le cas, leur guerre aurait pris une toute autre tournure. En tout état de cause, leur équipement ne rendait pas le combat égal, mais il leur permettait de livrer efficacement bataille. Tark retint un frisson. Voilà déjà une semaine que leurs forces s'affrontaient de manière continue, parfois sous la forme d'escarmouches épisodiques, d'autres en véritables batailles rangées. Une semaine, et le troisième cercle tenait toujours. Mais combien de temps faudrait-il au Syphon pour les rejoindre ? Combien de temps avant qu'elle ne devienne inutile et qu'organiquement, l'affrontement se mue en carnage ?

L'heure n'était pas à ces considérations. Tapie sous un monticule de bois et de tôle, elle entendait leurs guetteurs tourner autour d'eux. Retenant sa respiration, tant par désir de discrétion que pour se préparer à ce qui allait suivre, elle s'efforça de se concentrer sur leurs bruits de pas, de repérer leur position, leurs mouvements. Ils étaient quatre, et ils avançaient en silence. Les soldats en mission d'exploration procédaient souvent ainsi, se guidant les uns les autres par de grands gestes plutôt que par la parole, évitant ainsi de trop renseigner les unités adverses qui se seraient postées en embuscade. S'il s'était agi de mères ou de sœurs, Tark elle-même ne les aurait pas entendu arriver par-delà le brouhaha incessant des cris, des combats, des ordres et des exécutions sommaires. Mais il s'agissait d'hommes et, mieux encore, d'étrangers. Elle pouvait donc presque les voir, même là, sous la couverture crasseuse de ce qui furent autrefois des maisons de fortune, et imaginer leurs prochains mouvements.

Les bruits s'estompèrent peu à peu, puis finirent par cesser. L'homme libre le plus proche d'elle laissa échapper un souffle de soulagement. Elle n'eut pas même le temps de se tourner vers lui. 

La vive lumière manqua l'aveugler quand un bout de tôle fut brusquement retiré de par-dessus leurs têtes, mais elle vit tout de même le fer de la lance pénétrer dans le dos de son ex-camarade. Il ne fit pas un bruit, quoi qu'elle ne put pas en être certaine, car la forme du Vent atténuait sa perception du son. Elle vola au-dehors de leur abri miteux, tranchant au passage la hampe de la lance en question. Du sang vola autour d'elle, peut-être avait-elle planté son fer dans un ennemi sans s'en rendre compte. Elle ne prit pas le temps de vérifier, rebondit en s'appuyant contre une grosse pierre noirâtre et ficha son épée dans la visière du prochain assaillant. Jetant un rapide coup d'œil aux alentours, elle vit que déjà les soldats accouraient de toutes parts. Tout lents qu'ils furent, ils n'en étaient pas moins nombreux, et leurs lames pas moins menaçantes. Tark fonça vers le premier groupe qui lui fit face, glissa sur un genou pour éviter un barrage de lances pointées un peu trop haut - mais, encore une fois, elle ne leur laissait pas vraiment le temps d'exécuter un geste juste -, et lança un puissant coup de taille en se relevant. L'épée ouvrit estomacs et torses, répandant gerbes de sang et d'immondices. Elle reçut un liquide chaud au visage et, s'épongeant le front en pestant, vit que ses hommes et elle se trouveraient rapidement encerclés s'ils continuaient le combat. 

They who grow smallerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant