Chapitre 4

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La veillée dura trois jours. Les amis de mon grand-père défilèrent devant sa dépouille pour lui rendre hommage et lui dire adieu. Le troisième jour, je vis arriver un homme que je n'avais jamais rencontré de ma vie mais qui pourtant me semblait familier. Sans saluer personne, il se dirigea directement vers le cercueil. Il avait l'air dévasté et regardait mon Nonno avec une expression de profonde douleur. Je me rapprochai de mon père et lui demandai de qui il s'agissait. Mon père le regarda un instant et me répondit que c'était mon oncle Filipe. En l'observant de plus près, je reconnus le jeune homme qui se trouvait sur les photos de l'album de mon grand-père. Il avait vieilli et grossi mais c'était bien lui. Il dut sentir mon regard sur lui car il se retourna et me fixa avec insistance. Il se pencha sur son père et l'embrassa sur le front puis me rejoignit. Tu dois être Michaël, me dit-il en me tendant la main. Je la lui serrai et acquiesçai. Tu as bien grandi, me dit-il. Tu ressembles tellement à... Il laissa sa phrase en suspens et secoua la tête comme s'il voulait chasser une pensée. Sans rien ajouter, il se dirigea vers ma mère et la serra dans ses bras. Mon père vint me rejoindre et m'informa que c'était lui qui avait prévenu mon oncle de la mort de son père. Il l'avait retrouvé grâce aux réseaux sociaux et lui avait laissé un message avec l'adresse du funérarium et la date de l'enterrement. Il n'avait obtenu aucune réponse de sa part et fut donc surpris quand il l'avait vu arriver. Mon père me proposa d'aller boire quelque chose et alla rejoindre ma mère. Celle-ci était en pleine discussion avec son frère et semblait agacée. Je décidai de sortir prendre l'air. Quelques instants plus tard, je vis Mario, Massimo, Lukas et Pietro arriver devant l'établissement. Ils me virent et me rejoignirent. Salut Michaël, me dit Massimo. Je suis vraiment désolé pour ton Nonno. C'était un homme bon. Je le remerciai et nous restâmes ainsi quelques instants sans rien dire. Mes épaules se mirent à trembler et mon visage se crispa. Mario s'approcha et me serra contre lui. Je me laissai aller contre mon ami et me mis à pleurer à gros sanglots. La crise passée, je me redressai et m'excusai auprès des autres. Mario secoua la tête et me dit : T'excuse pas, mec. C'est normal. Si tu as besoin de quoi que ce soit, on est là. Ça sert à ça les amis. Je fus touché. On ne se connaissait que depuis quelques mois et ils me considéraient comme de la famille. C'est donc entouré de mes amis que je rejoignis mes parents. Ils allèrent se recueillir autour du cercueil, y restèrent un moment et vinrent me rejoindre devant le buffet. Voilà bien une tradition que je n'arrivais pas à comprendre. Comment pouvait-on manger dans un moment pareil ? Je restai donc avec mes amis pendant que mes parents serraient les mains des personnes venues rendre hommage à mon grand-père. La matinée passée, nous nous dirigeâmes vers l'église et c'est le cœur serré que j'écoutai chaque personne dire un mot pour mon Nonno. Je n'avais préparé aucun discours et je ne pus que balbutier un faible adieu, la gorge nouée par le chagrin. La cérémonie terminée, nous regagnâmes nos voitures et suivîmes le cortège jusqu'au petit cimetière de notre village. Le père Rosso entama son discours mais je ne l'écoutai qu'à moitié, ne pouvant détacher les yeux du cercueil. Quand ce fut terminé, je pris une poignée de terre dans ma main et, comme le veut la tradition, la jetai sur le cercueil. Les yeux remplis de larmes, je m'éloignai pour respirer un peu. Mes parents restèrent encore un moment puis remontèrent lentement l'allée jusqu'à leur voiture personnelle. Je m'étais installé sur un banc, un peu en retrait et laissai tomber mon regard sur les stèles posées devant moi. J'y déchiffrai les noms inscrits dessus et mon cœur se glaça. C'était les tombes de mes oncles décédés. Le souvenir de leurs visages suppliants me revint en mémoire.

Avant même que je ne réagisse, mon oncle Filipe se dirigea vers moi et me demanda d'aller rejoindre mes parents. Je me levai donc et montai dans la voiture sans rien dire. De la vitre de la voiture, je l'observai un moment. Il regardait les tombes de ses frères et son regard était sombre. Mon père démarra la voiture et je le perdis de vue. De retour à la maison, ma mère monta directement dans sa chambre et mon père s'affala dans le canapé. Il avait les traits tirés et semblait épuisé. Je m'installai à ses côtés. J'allais lui demander comment il allait quand soudain, des cris horribles se firent entendre à l'étage. Mon père et moi bondîmes dans les escaliers et pénétrâmes en trombe dans la chambre parentale. Ma mère était prostrée dans un coin de la chambre et montrait de la main le miroir de sa commode. Nous nous retournâmes et mon cœur se bloqua sous le coup de l'effroi. Une apparition innommable apparaissait derrière la glace. Comme coincé derrière la vitre, les mains posées à la surface, mon grand-père nous regardait d'un air horrifié. Ses yeux étaient écarquillés par la terreur. Sa bouche remuait mais aucun son n'en sortait. Je vis soudain une griffe apparaître derrière lui et mon pauvre Nonno fut entraîné dans les ténèbres. Ma mère se mit à hurler. Je me jetai sur le miroir en hurlant le nom de mon grand-père mais je ne vis plus rien, si ce n'était le reflet de la chambre derrière moi. Je me tournai vers mes parents, ne sachant que faire de plus. Ils avaient l'air aussi hallucinés et impuissants que moi. Nous attendîmes un moment mais rien d'autre ne se produisit. Mes parents descendirent au salon, ma mère tremblant de tous ses membres. Je les suivis et décidai de tout raconter à ma mère. Il était temps de la mettre au courant. Mais je décidai d'abord d'aller voir Mario pour savoir de quoi il voulait me parler. J'informai donc mon père et, sans lui laisser le temps de me répondre, me dirigeai vers le fond de la rue. Mario m'attendait dans le jardin, assis sur le banc. Il était seul. Il portait toujours son costume et fumait une cigarette. A mon approche, il s'apprêtait à la jeter mais se ravisa quand il vit que ce n'était que moi. J'allai m'installer à côté de lui. Il se retourna vers moi, vit ma mine effarée mais ne dit rien. Il se leva et me demanda de l'attendre. Il pénétra dans la maison et sortit quelques minutes plus tard, tenant dans ses mains une pochette. Il me la tendit sans rien dire. Je regardai à l'intérieur et vis qu'elle contenait des photographies et plusieurs carnets. Je regardai Mario et il m'expliqua qu'il avait trouvé toutes ces choses dans un tiroir dissimulé sous le bureau de son grand-père. Il commençait à rafraîchir et il dut remarquer que je n'allais vraiment pas bien car il me proposa d'aller dans sa chambre. Je le suivis en fourrant la pochette sous ma veste et le suivis à l'intérieur. La maison était vide. Ses parents et son frère étaient partis manger chez leurs cousins. Mario avait prétexté des devoirs à terminer dans l'espoir de me croiser. C'était une charmante demeure. Le séjour était lumineux et on y ressentait une impression de bien-être en y pénétrant. Je suivis Mario à l'étage et il m'ouvrit la porte de sa chambre. Je constatai avec humour que son père avait eu raison en me disant que son fils préférait les jeux vidéo. Sous un lit en mezzanine se trouvait tout l'attirail d'un joueur professionnel. Quatre écrans superposés deux par deux trônaient au-dessus de son bureau. Une barre son dominait en dessous. Son clavier émettait des lumières rouges, vertes et bleues. Sur le siège traînait un casque équipé d'un micro. Il avait une collection impressionnante de jeux sur ses étagères. Il dut voir mon expression car il sourit et haussa les épaules, l'air de dire « chacun son truc ». Deux poufs étaient disposés au milieu de la pièce. Je m'installai et regardai les posters qui garnissaient les murs. C'était surtout des affiches de jeux.

La prison de verre - Derrière Le MiroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant