Chapitre 1

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Griverfall, Ontario

Samedi 22 avril

[Lylith]

— Ouh, quelle horreur !

Assise sur une chaise devant le bar de ma cuisine, je fais défiler les photos de la galerie de mon téléphone. Je supprime le cliché pris par accident de mon double menton. Il était vraiment temps que je fasse un tri. Mon espace de stockage me remerciera.

Je fourre le dernier morceau du gâteau dans ma bouche et poursuis ma tâche. Je finis par tomber sur notre selfie d'hier soir.

Les joues pleines, je nous observe, ma sœur, Kurt et moi.

Notre trio inséparable remonte à l'école primaire. Je ne compte même plus le nombre de fois où nous nous sommes fourrés dans le pétrin, tous les trois.

Depuis deux ans maintenant, Kurt et mon aînée, Selena, sont en couple. Ils habitent ensemble et filent le parfait amour. Quoi de mieux que de tomber amoureuse de son meilleur ami d'enfance ?

Bien que les aléas de la vie nous contraignent à moins nous voir, nous persistons à organiser des activités ensemble. Hier soir, c'était Trivial Pursuit dans mon modeste appartement.

Je souris aux souvenirs qui se bousculent dans ma mémoire et avale la dernière bouchée.

Je finis par poser mon appareil en jetant un dernier coup d'œil à l'heure. Treize heures quatre.

J'écarte la chaise du bar et me lève dans un soupir repu.

Carl, mon balai enchanté, se précipite pour balayer les miettes que j'ai laissées dans mon sillage. Il n'a pas de visage, mais je suis certaine qu'il me fait les gros yeux.

— Désolée, dis-je.

Je me pince les lèvres pour masquer mon embarras. Trop absorbée par la contemplation de mes photos, je n'avais pas remarqué les mies qui chutaient à mes pieds.

Je me dirige vers l'entrée et attrape mes fidèles converses rouges. Tandis que je les lace, je l'observe.

Il y a quelques mois, ce n'était rien de plus qu'un balai ordinaire. Mais depuis que j'ai tenté de lui jeter un enchantement pour qu'il balaye tout seul, il a pris vie. Ça ne devait pas se passer comme ça. Normalement, ce sortilège rudimentaire était censé l'animer le temps qu'il effectue sa besogne. Néanmoins, il est de notoriété publique que je suis une enchanteresse lamentable.

J'ai foiré mon objectif et sans le vouloir, je lui ai insufflé des émotions. Certes, il s'est animé, mais c'est allé plus loin que ça. Affolée, j'ai appelé ma sœur.

Selena est plus douée que moi. Peu importe le domaine.

Quand elle a tenté d'annuler le sort, j'ai ressenti la tristesse et le désarroi de ce balai. Annuler l'enchantement, c'était une forme de mise à mort.

Ça m'a fait mal au cœur, alors quand ma sœur a commencé à psalmodier la formule d'annulation, j'ai hurlé pour la stopper. Depuis, je vis avec Carl. C'est lui qui a choisi son nom parmi la longue liste que je lui ai proposée.

Personne ne sait comment je m'y suis prise pour le doter de sentiments. J'avais pourtant suivi l'incantation à la lettre. Les enchantements ne sont pas censés donner définitivement la vie aux objets.

Bien que ma tentative soit un exploit, elle souligne toutefois ma médiocrité et mon incapacité à jeter même le plus simple des envoûtements sans commettre de bêtises.

Je suis certainement l'enchanteresse la plus nulle de la ville.

Mais je ne me laisse pas abattre. Je persiste. Je ne permets jamais à mes échecs de me plomber le moral. La vie est trop courte pour ça. Je préfère garder le sourire.

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