HEAVENLY

Chapitre 9

Griverfall, Ontario

Jeudi 11 mai

[Icarys]

Je soulève le dernier rondin de bois et le place dans la remorque de Josh. Je recule ensuite, des mèches de cheveux plaqués sur mes tempes par la sueur.

— Eh ben, gamin, tu as vraiment de l'énergie à revendre.

Je lance une œillade au bûcheron qui est appuyé contre son véhicule.

Gamin.

S'il savait.

Quoique, en ce qui concerne l'expérience humaine, je ne vaux probablement pas mieux qu'un enfant.

— Tu es très efficace. Tiens, merci pour ton aide.

Comme à la fin de chaque journée depuis que j'ai commencé ce job, il me tend une enveloppe avec ma paie. Je la fourre dans la poche de mon pantalon de travail.

— Je vous en prie. Et merci.

Il me donne une tape sur l'épaule en émettant un rire rauque.

— Allez, tu en as assez fait, va rejoindre ta belle

Ma quoi ?

Son regard dévie vers un point derrière moi. Je me retourne et découvre Lylith à quelques mètres de nous, son sac à main pendu à son épaule et un livre serré contre elle. Elle affiche son habituel sourire rayonnant.

Le ciel est terne aujourd'hui. Néanmoins, malgré la grisaille et l'ombre de la forêt, elle est lumineuse. Le soleil n'est pas dans les cieux, il est devant moi.

Cinq jours se sont écoulés depuis que j'ai appris ce qu'elle avait enduré il y a quelques années. Elle n'est pas allée au bout de son explication, mais j'ai très bien compris qu'elle a été violentée. Je ne l'ai pas forcée à terminer pour avoir la confirmation de ma supposition, la voir s'effondrer était déjà trop.

Ça m'a fait mal à la poitrine. J'ai eu le sentiment que mon cœur s'atrophiait et je me sentais démuni. Je n'avais aucune idée de ce que je devais faire.

Alors, le soir même, quand elle m'a invité à rester auprès d'elle dans son lit, je n'ai pas pu refuser. Pourtant, j'aurais dû. Je savais que j'allais devoir lutter contre ces pulsions inopportunes.

Lorsqu'elle m'a demandé si elle pouvait se blottir contre moi, je me suis senti désemparé. C'était une véritable épreuve. Je sais que les humains ressentent du désir et qu'ils s'accouplent aussi par simple plaisir au-delà du but purement reproductif, mais pourquoi est-ce que je ressens cette envie juste envers elle ?

Parce qu'elle est gentille, jolie et que c'est la seule femme que tu fréquentes vraiment, me sermonne une voix intérieure.

Je la chasse. On peut trouver ces qualités chez une femme sans avoir envie de... quelle expression a-t-elle utilisée ? De « se sauter dessus » ?

Le matin, je me suis extirpé du lit avant qu'elle ne se réveille. J'étais à bout. En plus, elle a passé la nuit à s'agripper à moi comme un koala à sa branche d'eucalyptus.

La fuite fut ma seule option.

Elle ne m'en a pas tenu rigueur. Elle m'a remercié et a retrouvé son air jovial en un rien de temps. J'ai guetté ses réactions pendant les deux jours suivants, à la recherche du moindre détail dans son comportement qui m'indiquerait qu'elle fait semblant.

Mais rien.

Je suis alors arrivé à une triste conclusion : Lylith sourit si souvent que plus personne n'est capable de distinguer son sourire véritable de celui de façade.