Chapitre 23

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Griverfall, Ontario

Jeudi 15 juin

[Lylith]

Virée.

Je suis virée. C'est ce que mon employeur m'a annoncé hier à la fin de ma journée de travail.

Réorganisation budgétaire, m'avait-il dit.

Évidemment, c'est l'employée qui sert le café qu'on décide de licencier en premier. Je me souviens encore des émotions qui m'ont traversée. D'abord, il y a eu le choc. Il m'a fallu deux bonnes minutes pour que mon cerveau traite l'information. Ensuite, il y a eu la tristesse : je venais de perdre mon travail.

Et puis, il y a ce sentiment qui me traverse d'habitude si peu : la rage. Pour la première fois depuis longtemps, j'ai élevé la voix. J'ai frappé sur le bureau de mon patron et je lui ai hurlé que c'était injuste. Quelque chose en moi a cédé et je lui ai balancé cette vérité que je tentais moi-même de dissimuler : je n'ai jamais été traitée à ma juste valeur. Je lui ai donc rappelé que j'avais signé un contrat de travail en tant qu'infographiste et que depuis que je bosse ici, je n'avais quasiment pas effectué des tâches en lien avec ma fonction.

Je ne suis pas une petite stagiaire bonne qu'à faire du putain de café et à répondre aux mails ! lui avais-je crié.

Oui, parce qu'en plus de m'être énervée, j'ai également été vulgaire. J'ignore si mon attitude résulte d'une prise d'assurance ou bien d'une fatigue entraînée par les derniers événements, mais le résultat est là. J'ai littéralement pété un câble.

Après avoir vidé mon sac, je me suis sentie soulagée. Je ne réalisais pas à quel point j'avais intériorisé toute cette haine vis-à-vis de mes conditions de travail. Je suppose qu'il s'agit de l'une des conséquences de mon optimiste. J'en suis venue à accepter des choses intolérables.

J'ai ensuite quitté le bureau la tête haute. Mes collègues m'ont regardée quitter les lieux avec étonnement. Personne ne s'attendait à ce que la petite Lylith si conciliante parte en claquant la porte.

Néanmoins, quand je suis rentrée à l'appartement, j'ai fondu en larmes. Même si c'était probablement mieux comme ça, je venais malgré tout de perdre mon boulot.

Icarys a essayé de me consoler. Sa manière de s'y prendre fut terriblement maladroite, mais sa tentative restait touchante.

Assise au bar de la cuisine, je triture négligemment les pancakes dans mon assiette, perdue dans mes idées noires.

— Tu retrouveras quelque chose, me lance mon mari.

— Je l'espère.

Bien que je ne l'aie pas admis devant mon employeur, mon licenciement a brisé le peu de confiance en moi que je possédais. J'ai passé la nuit à me retourner dans mon lit, à me demander si j'avais vraiment les compétences pour retrouver un job.

Nulle. Bonne à rien.

Tous les termes dégradants contre lesquels je me suis toujours battue munie d'un sourire me sont revenus en pleine figure. J'ai failli y croire.

Toutefois, le coup que s'est pris mon amour propre n'est pas notre plus gros problème. Puisque j'ai été licenciée sans préavis, je vais toucher une indemnité compensatoire égale à plusieurs mois de salaire, ce qui nous dépannera temporairement sur le plan financier. Si je ne retrouve rien, je vivrais aux crochets d'Icarys. Ça, je ne peux pas l'envisager. Je tiens à mon indépendance financière.

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