HEAVENLY

Chapitre 32

Griverfall, Ontario

Lundi 3 juillet

[Icarys]

Je regarde Lylith se traîner dans sa chambre. Lorsqu'elle ferme la porte, je soupire. Mes émotions sont en vrac. Jamais encore je n'avais ressenti un tel tumulte intérieur : mon cœur est comprimé, mes poumons me brûlent, ma gorge est irritée et mon cerveau tourne plus vite qu'une hélice d'hélicoptère. Mes sentiments débordent.

Je pivote et lance une œillade au canapé. Je n'ai même pas pensé à lui demander une couverture. Ce n'est pas grave, il fait chaud de toute façon. Les ailes mollement pendues dans mon dos, j'attrape Carl – qui ne proteste pas – et le conduis dans la réserve. Lorsque je le pose contre son mur habituel, des paroles s'imposent dans mon esprit.

Tu as merdé, tu le sais, ça ? me fait-il remarquer.

— Merci, j'ai compris.

Sérieusement, pourquoi tu ne lui as pas avoué ta véritable nature dès le début ? Un esprit, un dieu ... ça change quoi ? poursuit-il.

— Je ne sais pas, d'accord ? Je... ça ne change rien à la situation.

Pour toi, pas pour elle.

— Je savais que tu te rangerais de son côté.

Je fais demi-tour et me dirige vers la sortie.

Je comprends pourquoi tu ne lui as pas parlé de ta première réincarnation, reprend-il. Je pense que de nombreuses personnes auraient fait le même choix que toi. Pour ton identité, en revanche, je n'arrive pas à saisir ton choix. Mais bon, je ne suis qu'un balai, après tout. Vous devrez parler, vous ne pouvez pas rester là-dessus.

— On en parlera demain. Elle m'a demandé une nuit de réflexion. Je respecterai son souhait.

Je ferme la porte, puis éteins la lumière. Je n'ai aucune envie de remballer mes ailes. C'est donc sur le ventre que je m'allonge sur le canapé.

Les heures défilent sans que je ne ferme l'œil. Je n'arrête pas de repasser notre conversation dans ma tête, à ce que j'aurais dû dire, faire. Les regrets me tordent les entrailles. Pourquoi cette situation est-elle si compliquée ? Ça devrait être simple : je lui dis la vérité, elle s'étonne puis l'accepte. D'un point de vue pragmatique, je ne comprends pas pourquoi il y a... tout ça. Toute cette confusion. Toute cette douleur.

Je finis par sombrer dans un demi-sommeil. Des images affluent dans ma tête et la torture que j'ai subie la semaine dernière revient malmener mon corps. J'ouvre brusquement les paupières, le souffle court.

Je me redresse et m'assieds. Déstabilisé, je passe nerveusement une main dans mes boucles. Je ne pensais pas que mon séjour entre les griffes de Jeremias me hanterait. J'ai souffert, c'est indéniable, mais c'est terminé. Éveillé, je n'ai pas l'impression d'être traumatisé, mais peut-être que ma part d'humanité a besoin d'un peu de temps.

Je repense à Lylith et son stress post-traumatique. Encore tout à l'heure, elle s'est repliée face à mon geste brusque. Pourtant, elle s'est bien battue contre sa sœur, dans les sous-sols de l'entrepôt. Même si je ne la voyais pas de ma cellule, j'ai tout entendu. Dissimulé derrière mon inquiétude, un sentiment de fierté m'avait envahi. Elle a eu le courage de l'affronter malgré les dernières horreurs qu'elle a dû encaisser. Quant aux propos horribles prononcés par Selena, ils ont réveillé en moi une colère sourde. Elle a été injuste avec elle. Elle a été ingrate avec sa famille entière.

Je finis par me lever et me rends derrière le plan de travail de la cuisine pour me servir un verre d'eau. Lorsque je le repose dans l'évier, je lance un regard à la porte de Lylith.