Griverfall, Ontario
Vendredi 5 mai
[Icarys]
J'emboîte la dernière pièce dans le puzzle. Depuis le canapé, j'inspecte l'image qui se dresse devant moi sur la table basse : celle d'un coucher de soleil sur un champ de coquelicots. En raison de ses nuances de couleurs, ce casse-tête m'a pris une bonne partie de l'après-midi.
Je soupire et, avec un pincement au cœur, le détruis pour le ranger dans sa boîte. Je pars ensuite le remettre sur l'étagère sur laquelle je l'ai pris, juste au-dessus du Trivial Pursuit.
Je me retourne et détaille la pièce des yeux. Le silence m'enveloppe. Qu'est-ce que je vais pouvoir faire maintenant ?
Six jours sont passés depuis notre rencontre avec les intendantes. Pour l'instant, nous n'avons aucune nouvelle. De notre côté, nous stagnons. Nous avons épuisé le stock de grimoires de la mère de Lylith, que ce soit les ouvrages papiers ou les scans numériques. J'ai bien essayé de trouver des informations sur la plus grande invention de ces dernières décennies qu'est Internet, mais en vain.
Je suis tombé du ciel et il ne semble n'avoir aucun moyen de m'y renvoyer.
Je regrette. J'aurais dû la tuer cette nuit-là. Si je l'éliminais avant le levé du soleil suivant mon invocation, je l'aurais annulée. Mais ces émotions dont j'ai été doté en étant incarné m'en ont empêché. Je n'avais pourtant pas hésité à l'époque.
Mais je n'avais pas passé plus de quelques minutes dans mon corps et je n'avais pas vu une larme sur sa joue.
En y repensant, je lâche un juron de frustration. Bordel, il semblerait que j'aie bel et bien gâché mon unique possibilité.
Non, je refuse de croire que c'était le seul moyen, il doit en exister un autre. Seulement, il n'a pas encore été découvert. Il faudrait que nous élargissions nos recherches. Peut-être pourrions-nous nous tourner vers les potions et les artefacts ?
Je sais que je ne trouverai rien dans la pièce de vie. J'ai déjà fouillé les lieux durant la semaine pendant que la jeune femme était au travail.
Tant qu'elle y est encore, je décide de m'aventurer dans le seul endroit que je n'ai pas encore exploré : sa chambre. Oui, je sais, ce n'est pas poli, mais je compte juste jeter un œil aux livres pour dénicher éventuellement un grimoire. La pièce de vie manque cruellement d'objets ésotériques pour la demeure d'une enchanteresse.
À part Carl qui se repose dans un coin, elle ne possède rien d'enchanté.
Et vu les ordres que les intendantes lui ont donnés, ça ne risque pas de changer.
Je me dirige vers son antre et y pénètre. Comme j'avais eu l'occasion de le remarquer, ses draps sont bien imprimés de motifs hiboux.
Un coussin en forme de hibou, une lampe à l'abat-jour hibou, un pot à crayon hibou, un grand-miroir en forme de hibou...
Elle est folle. Comment peut-on à ce point être obsédé par un animal ?
Je poursuis mon observation des lieux. Si l'on oublie les rapaces nocturnes, la chambre est assez sobre. Un lit double, une penderie, un bureau et une étagère. Rien ne traîne au sol et les meubles ne sont pas encombrés de fournitures en tout genre. Deux des murs sont bordeaux, comme les mèches de ses cheveux et les deux autres sont crème, ce qui rend la pièce lumineuse.
Je parcours l'étagère et ne découvre aucun grimoire, juste des romans et des albums photo. J'en saisis un au hasard. Sur la couverture, j'aperçois une image de Lylith, Kurt et Selena. Ils doivent avoir une dizaine d'années, mais ils sont reconnaissables.
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HEAVENLY
RomanceBonne à rien, médiocre en tout. Voilà les mots avec lesquels Lylith vit depuis l'enfance. Pourtant, la jeune femme n'a jamais cessé de sourire et de persévérer. Elle a toujours été ce soleil qui refuse de s'éteindre face aux grisailles de la vie et...