Chapitre 1

137 13 33
                                    

To build a home — The Cinematic Orchestra

(N.d.a : je vous met des morceaux tirés de la playlist en haut de chaque chapitre 🙃).
Enjoy !

Kaï

  Le regard perdu dans le vague, je vois le paysage défiler sans vraiment y prêter attention. Le film des derniers jours passe en boucle dans ma tête. Les gens parlent, les bébés pleurent, les enfants crient. Mais je ne les entends pas vraiment. Je suis comme séparé d'eux par une vitre en verre. Une vitre
sale, délabrée ; une vitre dans laquelle se reflète l'état de mon âme.

❃❃❃

~ Deux jours plus tôt ~

  Maman est allongée sur son brancard verdâtre, le teint aussi pâle que les murs écaillés de sa toute petite chambre lugubre. Les infirmiers passent, s'en vont, reviennent. Le "bip-bip" continue des machines résonne dans ma tête comme une éloge funèbre. Je suis mi-assis, mi-allongé, le bas de mon corps est affalé sur une chaise en plastique blanc, le haut est couché sur les draps parfumés au désinfectant. Ma main est dans la sienne, j'ai parfois l'impression de la sentir bouger. Pourtant, à chaque fois que je relève la tête dans sa direction, elle se tient toujours affalée sur les coussins moelleux de son brancard, les paupières clauses, le teint pâle, le corps aussi immobile qu’une poupée de porcelaine.

Je me lève et exécute ma routine habituelle, je lui brosse les cheveux, je réinstalle ses couvertures, je réorganise les fleurs à moitié fanées du vase moche qui trône sur le petit meuble à côté de sa couchette. Un infirmier passe en coup de vent pour m'apporter mon plateau-repas. Je le pose sur la table et essaie d'avaler la bouillie jaunâtre qui dégouline de mon assiette sans me poser de question sur ce qu'elle contient. Je crois qu'il ne vaut mieux pas que je le sache.

  Et puis, madame Lucie arrive. Je lui lance un regard mauvais, je ne veux pas qu’elle me parle. À chaque fois qu'elle vient nous voir, maman et moi, c'est pour nous annoncer une mauvaise nouvelle. La première fois c'était parce que maman avait failli perdre ma garde. Depuis, je la considère comme la messagère personnelle de madame Mauvaises Nouvelles.

— Kaï, je suis contente de te voir.

— Bonjour.

— Kaï, mon chou, il faut que nous ayons une petite discussion.

  Je me crispe lorsque j’entends cet affreux surnom, elle ne l’emploi que lorsque la situation est grave. Qu'est-ce que je disais : madame Mauvaises Nouvelles a encore frappé.

— Tu sais que ta maman est très malade n'est-ce pas ? reprend-t-elle en articulant bien chaque mot.

  Je hoche la tête. Bien sûr que je le sais, je suis à son chevet depuis une semaine.

— Kaï, ta mère a besoin de repos. Elle ne pourra plus s'occuper de toi pendant quelques temps. Ton père va prendre la relève.

Mon sang se glace. Mon père va prendre la relève... ?

— Tu vas aller vivre chez lui quelques temps, continue-t-elle, comme si je n'étais pas au bord de la crise de nerfs.

— Non.

  Elle me pousse un soupire et se pince l’arrête du nez. « Ça va être long », semble murmurer la voix dans sa tête. « Tu t’apprêtes à m’envoyer vivre chez mon pire ennemi, loin de ma mère, dans un endroit inconnu. Tu ne pensais tout de même pas que j’allais te faciliter la tâche ? », répond la mienne.

— Kaï, tu comprends bien que nous ne pouvons pas faire autrement. Tu ne peux rester dans cet hôpital indéfiniment... Je suis désolée, mon chou. Je sais que ce sera sûrement difficile pour toi. Mais ça te fera du bien de changer d'air. Et puis tu pourras passer du temps avec lui, comme avant.

  Elle parle de tout ça comme si elle savait ce que j'avais vécu. Comme si elle pouvait comprendre à quel point ça été difficile pour maman et moi après le départ de papa. Nous avions du mal à nous nourrir, même avec les pensions qu'il nous versait. Même avec les aides de l'état. Elle parle de tout ça comme si c'était une bonne chose. J'aimerais pouvoir l'envoyer bouler, lui dire que jamais je ne partirais d'ici sans ma mère. Seulement, je n'ai pas mon mot à dire, car je suis mineur. À dix-sept ans on ne peut pas choisir de rester veiller sur sa mère malade. C’est injuste, mais après tout, la vie n'est jamais vraiment juste.

  Je me lève d'un bon et descend en courant les marches bancales de l'escalier miteux de l’hôpital et m'assois sur le sol sale des toilettes. Je reste couché par terre un moment. Je ne saurais dire combien de temps, les notions de temps et de durée se sont comme envolées, je ne ressens plus rien. Je suis vide. Une horrible coquille vide. Je pose mes mains de chaque côté du lavabo et regarde mon reflet. Je cris. J'essaie de pleurer mais rien ne sort. Je repense à tout ce qui m'est arrivé de vraiment nul, je pense à toutes ces choses qui m'ont brisé, qui ont fait de moi cet être insensible. Et pourtant aucune larme ne coule. Mes yeux restent secs.

  Je me maudis. Je me maudis d'être un fils aussi naze, une personne aussi faible. Je me maudis et laisse les ombres m'envahir, les fantômes du passé ressurgir. Je me traîne comme je peux jusqu'à la cuvette la plus proche et je dégobille. Je vomis tout ce que j'ai. Jusqu'à ce que je ne sois plus que cette putain de coquille vide, sans émotions, sans avenir, sans espoir, sans bouillie jaunâtre dans le ventre.

Je m'adosse piteusement contre le mur blanchâtre de la cabine des toilettes et je ferme les yeux, tremblant, luttant contre la migraine qui gronde dans ma tête. Au bout d'un certain temps je me relève, chancelant et me passe de l'eau sur la figure. J'essuie le vomi que j'ai autour de la bouche, j'arrange mes cheveux et je remonte pour rassembler mes affaires et aller dire à ma mère ce qui seront peut-être les derniers mots que je ne lui adresserai jamais. J'ai l'impression de me prendre une gifle en me rendant compte c'est peut-être la dernière fois que je la vois.

❃❃❃

  Le train s'arrête et la voix bourrue du conducteur annonce le terminus. Je me lève et descend, mon sac à dos sur une épaule. Je marche le long du quai, je traverse la gare, m'achète une bouteille d'eau et en boit une gorgée avant de la jeter dans la première poubelle que je croise, sans même m'en rendre compte.  Et puis, soudain, je le vois. Cet homme grand, beau pour son âge, mince, à la barbe bien rasée et à la chemise blanche bien repassée. Cet homme qui nous a abandonné. À côté de lui se tiennent une femme magnifique et un petit garçon qui doit avoir six ans. Le petit se met à courir vers moi et s'accroche à ma jambe.

— J'ai toujours voulu avoir un frère, commence-t-il. Tu vas voir ça va être trop bien, tu vas me lire des histoires, on va jouer tous les deux, j'ai même commencé à mettre quelques Playmobil dans ta chambre et on pourra aussi s'amuser à faire peur à Pantoufle, le chat, et on va... il continue sur sa lancée, me décrivant toute notre vie pour les dix prochaines années.

— Léandre, du clame mon chéri. Kaï vient tout juste d'arriver, le coupe Anaïs, sa mère.

  Elle s'approche de moi et me prend dans ses bras. Je me crispe.

— Contente de te rencontrer enfin, Kaï ! Et ne t'en fais pas pour les Playmobil, je lui dirais de les enlever.

— Oh, euh, merci.

  Puis c'est au tour de mon père de me souhaiter la bienvenue.
 
— Content de te voir, bonhomme, me salue-t-il en me donnant une petite tape dans le dos et en me parlant comme si j'avais cinq ans et demi.
— Salut, lui dis-je froidement.

  On monte dans la voiture et on roule à travers l'état de ma "nouvelle vie". L'état dans lequel je vais passer les prochaines semaines, voir les prochains mois, voir les prochaines années, voir toute ma vie. L'état dont le nom sonne à mes oreilles comme mon pire cauchemar : la Californie.

....••••....

Alors ? Je suis curieux ! Donnez moi vos avis, qu'ils soient positifs ou négatifs, en commentaire ! ;)
Biz tout le monde,
Cam's

Remember meOù les histoires vivent. Découvrez maintenant