Chapitre 5

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Kaï

La valse en la mineur - Chopin

Assis sur le sol froid du gymnase, je songe à notre première rencontre. Lorsque j'ai vu sa petite crinière blonde pour la première fois, dans la rue en bas de chez nous. Nous n'étions pas dans la même classe, mais nous étions voisins. Chaque soir, nous faisions rapidement nos devoirs avant de nous retrouver pour aller jouer près du lac qui se trouvait derrière nos maisons. Un petit endroit de paradis rien qu'à nous où nous restions des heures pour discuter, pour nous baigner et pour regarder les poissons. L'été, nous passions toute la nuit à regarder les pluies d'étoiles filantes en nous racontant des histoires de fantômes et d'extraterrestres.

Quand nous nous sommes rencontrés, nous n'étions que deux petits garçons très différents l'un de l'autre, mais nous sommes très vite devenus amis.
Les opposés s'attirent, comme on dit.
Aujourd'hui, nous sommes redevenus des inconnus.

Mais cette fois, nous sommes des inconnus avec des souvenirs. Je veux me rappeler et je veux qu'il se rappelle.
Je ne peux pas laisser passer ma chance une deuxième fois.

J'enfile mes chaussons et lance la musique. Ma professeure principale m'a laissé les clefs du gymnase pour que je puisse y danser après les cours, comme je faisais dans mon ancienne ville. Elle m'a aussi proposé de laisser la salle ouverte durant la pause du déjeuner pour que je puisse m'y entrainer. Je lui ai dit que j'y réfléchirais. Je ne veux pas que les autres me voient danser. C'est un art que je ne partage pas, c'est mon secret. Il n'y a que lorsque je danse que je me sens bien.

Après quelques étirements, je m'élance au milieu de la salle, mes pas résonnants dans la pièce vide. Je me perds dans la musique et dans le tourbillon de mes allers venus. Je me laisse aller et ferme les yeux, oubliant la Californie, ma mère, Ange et tous les autres. Je me laisse porter par les notes, enchaîne les sauts et, quand la musique s'arrête, je me laisse tomber sur le sol, haletant.

J'enlève mes chaussons de danse et les envoie valser à côté de mon sac de sport. J'empoigne ma gourde et la vide d'une traite, renversant la moitié de l'eau qu'elle contient sur mes vêtements. J'ai chaud, mais je suis heureux, je suis serein.

Je danse encore sur quelques morceaux et range mes affaires. Finalement, je décide de rester ici pour faire mes devoirs, car je ne veux pas rentrer. Pas tout de suite. Je ne suis pas encore prêt à supporter la voix haut perché d'Anaïs et le regard indifférent de mon père.
Une fois que j'ai enfin terminé mon exercice de mathématiques, je m'allonge sur le sol et ferme les yeux. Je ne sais pas combien de temps il s'écoule. Je me perds dans mon esprit, je pense à ma mère, seule dans sa chambre d'hôpital. Je ne l'ai pas appelée aujourd'hui ; je ne lui ai même pas envoyé un message. Elle mérite mieux.

Et puis, je pense à ce garçon, je pense à lui, à Ange. Peut-être qu'il n'était pas réel, après tout. Peut-être que suis simplement bloqué dans un mauvais rêve. Je sers les paupières aussi fort que je le peux et souhaite de bientôt me réveiller.

Mes pensées divaguent et je reste immobile sur le sol un long moment. J'ai mal au crâne et envie de vomir, mes mains transpirent, je veux rester allongé par terre pour toujours, ne plus jamais avoir à gérer quoi que soit. Ni ma famille, ni mes problèmes, ni les fantômes du passé qui ressurgissent... Car c'est ce qu'il est. Ange est un fantôme.

Des pas résonnent à l'autre bout de la pièce, une démarche rapide, mais hésitante. Je ne bouge pas, je suis trop fatigué pour ouvrir les yeux. Les pas se rapprochent doucement de moi, comme si la personne essayait de faire le moins de bruit possible pour ne pas réveiller.
J'entrouvre l'œil gauche, étant allongé, je ne peux pas voir le visage de celui ou celle qui se trouve devant moi. L'inconnu s'éloigne et je me retourne en fermant les yeux pour me rendormir.

Plus tard, lorsque je me réveille, un petit morceau de papier gît à côté de moi. Je me redresse et le dépli d'une main fébrile.

C'est un numéro de téléphone.

Il a été rapidement gribouillé d'une écriture enfantine, pleine de rondeur, qui ne peut appartenir qu'à une seule personne.

Ange.

Heyyy tout le monde !
Comment allez-vous ?
N'hésitez pas à me dire ce que vous avez pensé de ce chapitre !
Biz,
Cam's

Remember meOù les histoires vivent. Découvrez maintenant