Chapitre 10

73 7 0
                                    

Kaï

Comme chaque soir, je mange seul dans ma chambre. Je ne veux rien avoir en commun avec les gens chez lesquels je vis. Je suis déjà obligé de partager le sang de deux d’entre eux, je refuse de devoir en plus faire bonne figure. Mon père n’a jamais été présent dans ma vie, alors je ne vois pas pourquoi je devrais être présent à ses repas de famille. La seule personne ici que je j’arrive à peu près à supporter, c’est Léandre. Le garçon me rejoint d’ailleurs en cachette après les repas pour me donner un sandwich composé de pain, de beurre et de jambon. En échange, je joue un peu avec lui et lui lis parfois une histoire. Il retourne ensuite se glisser de son lit, me laissant seul face aux murs blancs de ma chambre vide.

Ce soir, je n’essaie pas de m'occuper d’une quelconque manière. Je regarde habituellement une série sur Netflix ou je scroll un peu sur les réseaux sociaux. Mais ce soir, je préfère me repasser en boucle les événements de cet après-midi. Je revois le visage fasciné d’Ange face à l’escargot qui glissait sur sa main, laissant une longue traînée de bave luisante derrière lui. Je ne me souvenais pas qu’il était aussi passionné par les petites bêtes. En réalité, je pense qu’il y a beaucoup de choses le concernant que j’ai oublié. Certains de ses goûts ont d’ailleurs probablement changés. Peut-être qu’il préfère désormais la glace à la fraise à la glace à la pistache. Ou peut-être s’est-il enfin décidé à se choisir une couleur préférée. « Je ne peux pas choisir, toutes les couleurs sont belles ! Et si j’en choisi une, les autres risquent d’être jalouses », me répondait-il lorsque je lui posais la question. Je note dans un coin de ma tête qu’il faut que je mène mon enquête vis-à-vis de ses possibles nouveaux goûts.

Mes pensées divergent peu à peu vers mon enfance. Je me revois, enfant, faisant de la balançoire dans le jardin pendant que mes parents se hurlaient dessus dans la maison. Je me revois marcher pieds nus dans les prés avec Ange en fin de journée, lorsque le ciel se teintait d’orangé et que les premières étoiles commençaient à apparaître. Et puis, mes souvenirs remontent encore plus loin.

Je me remémore mon sixième anniversaire : mon père m’avait fait un gâteau à l’orange. Je n’aimais pas ça mais je n’ai rien dit, parce qu’il avait pour une fois pris la peine de faire quelque chose pour moi. Je m’étais obligé à savourer son gâteau et à en manger le plus possible pour lui faire plaisir. J’étais tombé malade le lendemain et avait passé la journée à vomir. Ange était venu me voir immédiatement après l’école. Il s’était glissé sous la couette, juste à côté de moi, et m’avait montré les mots qu’il avait appris à lire. Comme la fièvre ne descendait pas, il m’avait raconté une histoire en me serrant dans ses bras jusqu’à ce que je m’endorme. Je lui avais dit de ne pas m'approcher de moi car il allait tomber malade. Il m’avait répondu qu’il voulait tout partager avec moi, même mes microbes. Et que me serrer contre lui l’apaisait et lui remontait le moral. Il était resté jusqu'à ce que sa mère vienne sonner chez nous pour que son fils vienne manger. Ange m’avait promis de revenir le lendemain. Mais je m’étais forcé à aller en cours le jour suivant, rien que pour le voir.

Ce souvenir me fait sourire, j’espère pouvoir retrouver la complicité et la connexion que nous avions. Sur cette pensée, je sens mon esprit commencer à sombrer et je tombe dans les bras de Morphée.

Le matin suivant, lorsque j’arrive en cours, je trouve Ange sur la place à côté de la mienne. Il me sourit et me fait un petit signe de la main. Je vois plusieurs élèves froncer les sourcils, moi-même je suis plutôt surpris. Je me retiens de courir jusqu’à lui pour le prendre dans mes bras, et me contente de poser mon sac à mes pieds et m’assoir nonchalamment, les bras posés sur le dossier.

— Bonjour, dis-je sans prendre la peine de regarder mon camarade.

         Il hausse les sourcils en me donnant un petit coup de coude dans les côtes. Je couine de surprise et lui lance un regard mauvais. Je le tape sur la cuisse et un grand claquement retentit.

 — Mais aïe ! crie-t-il.

Je lui tire la langue en affichant un air narquois. On continue de se chamailler pendant tout le reste du cours, si bien que le professeur nous reprend à plusieurs reprises en nous lançant des œillades réprobateurs. Je me fiche de déranger le cours, et Ange semble être du même avis que moi.

Lorsque la sonnerie retentit, Alex et Charlie me rejoignent. Le garçon aux cheveux verts pose ses coudes sur la table.

— J’ai ouïe dire que tu jouais du piano, Kaï. Est-ce vrai ?

Je fronce les sourcils, en souriant.

— En effet… enfin ça fait un moment que je ne me suis pas entraîné parce qu’il n’y en a pas chez mon père, mais j’ai quelques bases, oui.

— Merveilleux ! s’exclame-t-il en tapant ses deux mains l’une contre l’autre. Est-ce que ça te dirait de rejoindre un super groupe de musique composé de moi-même ici présent à la batterie, de notre incroyable Charlie à la guitare électrique, de toi au piano et d’une personne encore inconnue au chant ?

— Vous essayez de monter un groupe, sérieusement ?

— Alleeeeez, me supplie-t-il en s’allongeant pratiquement sur la table.

Je pince les lèvres.

— Hum, d’accord. Mais saviez-vous que ce garçon, continuais-je en désignant Ange, joue de la guitare et chante ?

Mon ami me lance un regard plein de haine.

— PARFAIT ! s’écrit Alex en applaudissant.

— Calmes-toi Alex, ne nous fait pas une syncope, intervient Charlie.

— Je n’ai jamais dit que j’étais d’accord, raille Ange.

Je pose une main sur son épaule et rapproche mon visage de son oreille.

— Ce sera l’occasion pour toi de te faire d’autres potes que les escargots baveux.

Il me regarde d’un air choqué, comme si je l’avais profondément blessé dans son égo.

— D’accord, vous avez gagné, je veux bien, finit-il par articuler sans me lâcher des yeux.

— Bon, eh bien rendez-vous samedi au Coffee Shop à quinze heures pour planifier notre première répétition ! s’exclame Charlie en nous donnant à chacun un morceau de papier sur lequel est gribouillé l’adresse de ce fameux café.

Et voilà le chapitre 10 !
Biz tout le monde,
Cam's

Remember meOù les histoires vivent. Découvrez maintenant