Chapitre 17

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Ange

 J’attends quelques minutes de l’autre côté de la rue, observant la maison de Kaï du coin de l’œil, manquant de faire demi-tour et de rentrer chez moi un bon petit milliard de fois. Finalement, la poignée de la porte d’entrée tourne toute seule, difficilement. Un petit garçon brun, ressemblant fortement à Kaï, sort de la demeure en prenant soin de bien refermer la porte derrière lui. Il s’approche de moi aussi vite qu’il peut, se dandinant dans son minuscule jogging gris et son tee-shirt sur lequel est écrit en bleu « HAPPY FAMILY ». Je pince les lèvres en songeant que, pour Kaï, cette famille doit être à peu près tout sauf joyeuse. Mais ce petit garçon doit être à des centaines de kilomètres de se douter de ce que son frère traverse. Enfin, le petit s’arrête de courir juste devant moi et relève son visage potelé vers moi.

— Salut, tu dois être Léandre, c’est bien ça ? je lui demande en souriant.
         
Ses grands yeux bleus s’écarquillent et sa bouche s’entrouvre légèrement. Il se toise une seconde, clignant plusieurs fois des paupières, comme pour s’assurer que je suis bien réel.

— Tu es un prince charmant ? s’exclame-t-il en serrant ses mains l’une contre l’autre.
         
Je souris et me mets à genoux pour être à son niveau. Je pose mes mains sur ses épaules.

— Malheureusement non… Je n’ai pas de château, pas de cheval blanc et pas de princesse blonde avec laquelle me marier
         
Je possède seulement une maison toute simple qui sent toujours le cupcake brûlé (merci papa), un gros chat roux qui dort toute la journée et un garçon brun que j’aimerai bien serrer dans mes bras, je pense.
         
Il affiche une petite moue et secoue la tête, m’assurant que je n’ai pas besoin de me marier avec une princesse pour être un vrai prince. Non, m'explique-il, je dois seulement tuer quelques dragons et chanter des chansons en dansant avec les animaux de la forêt magique, comme dans les dessins animés.

— Est-ce que Kaï est là ? je lui demande en me relevant.

— Non, il est parti.
         
Je fronce les sourcils, craignant que Kaï ait fugué ou quelque chose dans le genre. Léandre me fait signe de la suivre et me dit que sa maman va tout m’expliquer. C’est ainsi que je me retrouve assis à la table de la salle à manger, la belle-mère de Kaï installée en face de moi, les mains jointes, une couverture posée sur ses épaules frêles.
         
— Kaï est parti avec son père il y a deux jours en direction du Nevada, m’informe-t-elle en articulant chaque mot avec délicatesse.
         
Je soupire de soulagement. Il n’a pas fugué. Il est parti voir sa mère. Il va bien.

— Oh, il est allé rendre visite à sa mère ? Il ne m’en avait pas parlé.
         
Anaïs ferme les yeux et avale difficilement. Je sens une boule se former au niveau de mon ventre et dans ma gorge.

— Mais… il va bien, n’est-ce pas ?
         
Elle reste muette.

— Sa maman va bien aussi… ?
         
Le craquage dans la voix traduit une évidence que je refuse d’admettre. Tout allait bien il y a quelques jours. Kaï a dormi avec moi, il m’a embrassé, nous avons discuté par messages, j’avais envie de le revoir, de le serrer dans mes bras. Je lui avais même apporté des cupcakes.

— Sa mère est décédée avant-hier soir, lâche-t-elle dans un murmure.
         
Je sens mon monde s’écrouler. Ce petit chuchotement résonne en moi, prend toute la place dans ma tête, m’empêche de réfléchir correctement. Ma respiration prend un rythme saccadé. Louisa est décédée. La mère de Kaï est décédée. La femme qui m’a à moitié élevé est décédée il y a trois jours. Je ne peux pas imaginer ce que Kaï a dû ressentir lorsqu’il a appris la nouvelle…

Remember meOù les histoires vivent. Découvrez maintenant