Scandal [ANCIENNE ÉDITION]

Chapitre 13 - Tyler

Encore une putain de scène de baiser.

Et cette fois, je crois que c'est la plus difficile à filmer.

Non pas parce que la scène en elle-même est complexe, mais bien parce que nous devons la tourner au milieu d'une grande rue passante de Los Angeles.

Ce qui signifie qu'en plus de devoir entrer dans la peau de nos personnages, nous devons aussi jouer aux amoureux parfaits, même quand les caméras sont éteintes.

Parce que les yeux, eux, seront bien ouverts, prêts à découvrir tous nos secrets.

Les téléphones seront levés pour nous filmer, malgré l'interdiction formulée par la production sur des panneaux et affiches autour du set.

Ainsi, malgré les caméras éteintes, nous devons paraître amoureux et heureux.

Le couple le plus heureux du monde alors qu'il n'existe même pas.

Quelle douce putain d'ironie.

Je suis déjà fatigué de faire semblant. Jouer dans la peau d'un autre, c'est bien plus facile.

Mentir sur ma propre vie déjà détruite par le passé, c'est la chose la plus complexe qui m'a été donnée de faire, quand bien même je suis acteur, quand bien même jouer un rôle, c'est mon travail.

Parce que c'est complètement différent.

Et même si je suis seul – en dehors de Tom et Karl –, je m'en veux.

Je me fiche de mentir à ce monde pourri.

Après tout, leur passe temps préféré, c'est inventer des conneries sur ma vie et se faire du fric en le faisant.

Le bad buzz d'une célébrité, ça veut dire un max de pognon pour eux.

C'est injuste.

Ils n'hésiteraient pas à détruire la vie de quelqu'un grâce à une photo sans contexte, seulement dans le but d'avoir de l'argent.

Si seulement ils savaient que beaucoup d'entre nous seraient prêts à les payer dix fois ce qu'ils gagnent, simplement pour avoir la paix.

Ne pas pouvoir vivre comme je l'entends me fait haïr d'avoir choisi ce métier, d'avoir réussi à ce point.

Quelque part, je me dis qu'il aurait été plus simple d'être comme tout le monde.

De faire partie des gens normaux, qui se lèvent chaque matin pour se rendre au bureau, et tout ça anonymement.

Pas une seule personne pour te remarquer, pour te poser des questions sur ta vie privée, pour te toucher sans ton accord, pour te prendre en photo.

Simplement se fondre dans la masse.

Des milliers de personnes sur notre planète rêvent de devenir connus.

Mais savent-ils à quel point c'est dur ? À quel point ce rêve explose en mille morceaux lorsque l'on comprend ce que c'est réellement ?

Non, ils ne le savent pas.

Ils ne le savent pas parce que, tant qu'on ne le vit pas, on imagine que les autres abusent, qu'ils sont simplement moins passionnés.

Non.

Ce métier, cette reconnaissance internationale, vient avec de l'anxiété qui ne nous quittera jamais.

Sortir dans la rue, faire ses courses, se balader, promener son animal, aller au restaurant, sortir faire la fête avec des amis, partir en vacances.

Je ne peux plus rien faire de tout cela.

Pas normalement tout du moins.

Nous devons inventer des stratagèmes pour ne pas être reconnu, mais sans pour autant que cela soit trop évident, surtout dans une ville comme Los Angeles.

Nous devons polluer plus qu'à la normale en utilisant des jets privés ou des premières classes, simplement pour ne pas être surveiller, observer, filmer, agresser.

Cela aurait été une vie de rêve, si seulement les gens étaient respectueux.

Malheureusement, nous vivons dans une société détruite par l'égoïsme et le narcissisme.

Tu es pauvre ? On te rejettera, peu importe à quel point ta personnalité est belle.

Tu es riche ? On t'adorera, mais jamais pour qui tu es. Et on te détestera par pure jalousie.

Tu es célèbre ? On profitera de toi pour obtenir ce que l'on veut. Tu seras le fantasme de certains. Un véritable jouet sexuel qui n'a pour but qu'être un trophée dans une vitrine invisible.

Tu as été accusé de choses à tort ? On te rejettera, peu importe que tu puisses prouver ton innocence.

Tu es heureux ? On cherchera à te rabaisser pour que cela ne dure pas.

Tu bosses dur pour faire de tes rêves une réalité ? On te dira que c'est inatteignable et que tu devrais arrêter d'avoir espoir.

Peu importe qui tu es, ce que tu fais et quelle est ta situation, on cherchera toujours à te détruire. Comme si ta vie intéressait le reste du monde, comme si ce que tu accomplis ou n'accomplis pas te définissait.

Mais c'est trop simple de juger les autres quand on ne pourrait pas supporter d'être dans leur peau plus de cinq minutes.

Alors je fais de mon mieux.

Pour les ignorer.

Pour être heureux.

Pour m'adapter à la situation qu'ils causent.

Pour vivre.

Et à ce moment précis, pour agir comme si Harper était l'amour de ma vie.

Alors que les caméras sont en off le temps que Tom nous explique précisément ce qu'il veut pour cette scène, je passe mon bras dans le dos de Harper.

Celle-ci se crispe aussitôt à mon contact.

— Souris, lui rappelé-je doucement en voyant du coin de l'œil les flashs des appareils photos en train de capturer ce moment.

Je sais que d'ici quelques heures, nous ferons de nouveau la Une de tous les journaux, simplement parce que nous paraissons amoureux, même pendant le travail.

Je me demande ce qu'ils feraient s'ils découvraient qu'en réalité, nous nous détestons.

Harper fait ce que je lui demande et tourne la tête vers mon visage.

Elle est rayonnante.

Parfois, j'aimerais que ce soit vrai.

Parce que ce serait plus simple, parce qu'elle est belle, peu importe la situation.

Elle est le soleil qui éclaire le monde autour d'elle, et le pire c'est qu'elle ne s'en rend pas compte.

Elle peut être renfrognée, énervée, me détester, je n'ai jamais l'impression qu'elle apporte de l'ombre.

Mais je ne peux pas dire ce genre de chose.

Je n'en ai pas le droit.

Parce que ce couple est faux.

Parce qu'elle me déteste.

Parce qu'à tout moment, je peux l'entraîner dans ma chute.

Parce que je ne sais pas ressentir.