Chapitre 04 : La traversée de la ville - partie 1

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CHAP. 04 : La traversée de la ville

     Pour rejoindre le centre-ville de Mantes, nous remontions le tracé de la grande avenue sur plus de deux kilomètres. Notre petit groupe d'une douzaine de camarades marchait en file indienne, slalomant entre les gravats, les épaves d'automobiles froissées, retournées sur le toit ou le côté. Certaines s'étaient récupérées sur leurs roues, souvent avec les pneumatiques éclatés. Sur les voitures à l'endroit et non crevées, nous vérifiions l'état de marche du moteur. Malheureusement tous les véhicules croisés, parfois habités de cadavres, étaient hors-service. Mais à quoi bon, l'avenue était bien trop accidentée et encombrée pour pouvoir y circuler.

De l'autre côté de l'artère, nous doublions une grosse troupe de personnes hagards, convergeant comme nous vers le centre dans l'espoir de tomber sur des secours.

Je levai les yeux au ciel et ne vis qu'un ciel bleu uniforme. Les traînées blanches des fuselages des vols longs courriers ne zébraient plus l'atmosphère. Pas de trace non plus d'hélicoptère. Nous approchions du grand carrefour qui marquait le centre de la ville. Je pouvais l'apercevoir, mais j'observais aucune lueur de gyrophare de véhicule de pompier ou d'ambulance, aucun engin lourd de l'armée.

Le mince espoir de découvrir de l'aide que je gardais, s'effaçait à présent. Menant la file, je stoppai notre progression et me retournai.

« Désolé, mais nous ne trouverons rien au carrefour et à la place centrale. Peut-être des docteurs survivants mais aucun de nous n'est blessé gravement. Laissons le passage et la priorité à ceux qui ont vraiment besoin de soins, annonçai-je.

— Si, Syvanna a besoin de faire soigner sa plaie au front !

— Non ça ira Tania, Micaël a raison.

— Nous allons couper directement vers les habitations de Romain et Chris, décidai-je.

Un frisson parcourut l'échine de Romain le myope. La peur de découvrir l'horreur dans son foyer l'envahissait. Contrairement aux autres, il savait que ses parents étaient là au moment de la catastrophe. C'était la journée de repos de son père et sa mère n'avait pas d'emploi en ce moment.

Fred derrière posa sa main droite sur l'épaule de son camarade effrayé en guise de réconfort.

« Ça va aller mon pote. Comme pour nous tous, nous sommes ensemble pour se soutenir.

— Merci, allons-y.

Nous nous écartâmes de l'avenue pour s'engager dans une petite rue. J'essayai de voir le plus loin possible pour vérifier que l'artère n'était pas obstruée à certains endroits les empêchant de progresser.

— Je pense que nous pouvons aller jusqu'au bout de la rue ? Assurai-je.

— J'ai envie de chier, coupa Vanessa

La déclaration de Vanessa était tellement surprenante que tout le groupe resta bouche bée. Tout le monde se tourna vers elle.

— Quoi ? Ça doit faire plus d'une heure que ça me pousse au fesses.

— Oui bah t'as qu'à... S'interrompt Fred, ne sachant plus quoi dire.

Une opération si simple en temps normal nous laissait sans idée. Pas de WC, pas de papier toilette, pas d'intimité...

Je fis une enjambée rapide et soudaine pour attraper une feuille de journal qui virevoltait à un mètre de moi. Je tendis la page à Vanessa. C'était une page de L'Equipe titrant ; « Le PSG à nouveau prince de France ». Moi qui suis supporter du PSG, cette nouvelle m'était complètement sortie de la tête, et surtout m'importait pas du tout. Je m'en fichai complètement en fait.

Vanessa saisit le papier et regarda autour d'elle. Je tendis le bras et pointait un renfoncement entre des plaques de béton.

— Là, tu seras tranquille.

— Merci quel luxe ! Je vais essayer de ne pas me couper la peau des fesses avec le bord de la feuille.

Vanessa se dirigea vers ces WC improvisés et s'accroupit. Tout le monde regarda ailleurs, gêné. Malheureusement, la défécation fut bruyante et gluante ne pouvant échapper à nos oreilles.

— Et merde, c'te honte ! Grommela Vanessa.

— « Allumez le feu ! Allumez le feu ! ... » Chanta soudainement Fred pour couvrir les sons nauséabonds.

— « Et faire danser les diables et les dieux », reprit Fabrice en duo.

— Vos gueules bande de crétins ! invectiva Vanessa.

Fab et Fred se turent aussitôt. Le son du papier froissé conclut cette scène incongrue, mais qui se répéterait beaucoup à l'avenir. Vanessa sortit de sa cache le visage empourpré.

— Qu'est-ce que vous attendez ? On y va, grogna-t-elle.

Notre petite file d'étudiants s'engagea dans la ruelle escarpée. En essayant de calculer le temps que nous mettions pour parcourir à peine deux cents mètres, je m'aperçus que seul Moïse possédait une montre au poignet. Pour la plupart d'entre nous, le smartphone avait remplacé la montre.

— Ça fait trois quarts d'heure, m'indiqua Moïse.

— Tant que ça ? A ce rythme, notre circuit touristique va prendre la semaine, me plaignis-je.

— Pourquoi ? T'as un rencard de prévu ? M'apostropha Romain.

— Non, mais on s'épuise beaucoup pour quelques mètres simplement. J'ai peur qu'on s'écroule de fatigue à n'importe quel moment.

— Ne t'inquiète pas, nous prendrons le temps qu'il faudra, me rassura Syvanna.

— Je porterai celui ou celle qui ne pourra plus marcher, déclara Karl.

— Ne me tente pas, prévint Vanessa.

Nous nous extirpâmes de cette rue chaotique pour déboucher sur une résidence en ruine en bord de Seine. Je m'étonnai de voir que le pont routier qui enjambait le fleuve était un peu près intacte. En revanche plus au loin, le pont ferroviaire avait disparu dans les flots. Le dernier niveau de la résidence de trois étages s'était effondré sur l'étage du dessous. Le rez-de-chaussée était encore debout mais recouvert par les gravas des échelons détruits ci-dessus.

— On est chez moi, dit faiblement Romain. Nous habitons au rez-de-chaussée.

— C'est peut-être bon signe, rassura Tania. Le rez-de-chaussée à l'air d'avoir tenu le coup.

— Allons chercher tes parents, lança Syvanna.

A droite du bâtiment, un homme à genoux pleurait une femme allongée, et un petit groupe s'éloignait en direction du centre-ville.

Je fixai Romain d'un regard interrogateur.

— Non, ce ne sont pas mes parents.

— OK, cherchons une entrée.

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