Chapitre 12 : Nouvelle saison - partie 2

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     Notre club house s'était transformé en domaine privé, en forteresse. Nous avions dressé des palissades tout autour du bâtiment, évacué les gravats de l'intérieur et alentours pour construire une deuxième couche de protection à un mètre des palissades. Derrière les vestiaires, Karl avait organisé un atelier de mécanique, mais surtout un beau potager. Il cultivait jusqu'à présent ; salades, tomates, carottes, pommes de terre. Karl espérait à la prochaine visite au camp obtenir des semences pour des poireaux, des navets, des courges et autres légumes d'hiver. A côté, notre génie de la mécanique avait réussi à réparer deux scooters et une mobylette. A l'intérieur, des travaux amateurs d'isolation avait été entrepris pour constituer un dortoir à l'abri de la pluie et du froid (tout était relatif). Le comptoir du bar s'était transformé en salle à manger et la terrasse en cuisine en pleine air recouvert d'une bâche bleue de chantier pour retenir un maximum de chaleur provenant du feu de bois. Il fallait avouer que nous étions fortement enfumés le soir pendant le repas mais le confort de la température du feu était prioritaire. Nous avions dégagé une plage de plusieurs mètres au bord de la seine pour notre atelier pèche. Karl, Romain et Edouard avaient fabriqué des cannes à pêche à base de longues branches d'arbre séchées et fumées au feu de bois, et de cordelettes d'emballage et de câbles de guirlandes électriques débarrassés de ses diodes lumineuses. Un matin, nous avions été réveillés par des caquètements. A notre grande surprise, trois poules s'étaient introduites sur notre campement. Voilà de vraies survivantes ! Elles avaient échappé à la catastrophe, aux inondations, aux prédateurs animal et humain, aux conditions météorologiques et à leur propre fragilité. Elles avaient échappé aux velléités gourmandes et à l'estomac de Karl grâce aux conseils de Syvanna. Ces poules rapportaient beaucoup plus en nutriments avec les œufs pondus quotidiennement qu'avec leur chair. Edouard avait émis un doute sur leur capacité à pondre. Elles avaient subi de graves traumatismes psychiques ainsi que du stress. Karl et Vanessa s'étaient tout de suite affairés à la fabrication d'un poulailler. Effectivement les événements donnèrent raison à Edouard. La première semaine après leur installation dans leur nid douillet, aucun œuf ne sortit. Mais après plusieurs jours de confort, de caresses, d'alimentation, les premiers œufs s'offrirent à nous. Après trois semaines, la production était régulière. Nous avions renforcé nos stocks de vêtements chauds en prévision de la dernière saison à venir. Fini les jupes, robes et shorts, ils avaient laissé la place à des pantalons de survêtement, des jeans solides résistants au froid, aux ronces, aux éventuelles morsures d'araignées ou de rats. Le glamour adolescent de l'Avant n'existait plus. Pull large, pantalon recousu, longues chaussettes par-dessus les bas de pantalon, grosses chaussures de marche, bonnets ou casquettes tachés faisaient partit de notre panoplie vestimentaire.

J'avais consacré le principal de mon temps, bien sûr à aider notre groupe pour notre autosuffisance, mais aussi à récolter un maximum d'informations sur la situation extérieure à notre ville. J'étudiais toutes les possibilités d'expédition, les hypothèses de situations géostratégiques et politiques, la situation écologique, la possibilité de contamination radioactive ou autres virus synthétiques. Mes recherches au camp du centre-ville ne m'avaient pas apporté beaucoup de réponses. Jusqu'à présent nous recevions aucun signal radio. La fibre et les lignes internet ADSL étaient désespérément muettes. Deux anciens ingénieurs avaient entrepris de relier un système de communication télégramme et morse à la principale ligne téléphonique enterrée sans assurance qu'elle ne soit pas coupée à un point d'ici Paris, ou Lyon, Marseille... Je n'avais trouvé personne possédant un compteur Geiger pour mesurer la radioactivité présente. Nous ne savions rien à ce sujet. Cela se trouve, nous étions tous condamnés à une mort horrible. Mais d'après les derniers échos que j'avais eu, aucun mal de la thyroïde n'avait été constaté. Je me renseignais chaque semaine sur l'arrivée éventuelle de réfugiés provenant de Paris ou sa proche bordure. Personne, rien, à croire que personne n'avait survécu. Cela mettait à mal ma volonté de me rendre là-bas. J'avais tenté de rencontrer des volontaires pour rejoindre la capitale. Beaucoup de beau-parleurs, pour très peu de courageux.

Le mois dernier, un petit groupe de cinq jeunes hommes désespérés avait tenté d'attaquer et de s'emparer de notre camp. Nos fortifications avaient alors fait leur preuve. Les barricades de fortune et quelques coups de perche dans le ventre avaient eu vite fait de les décourager. Nous étions un peu victime de notre succès. La rumeur s'était propagée au centre-ville d'une petite communauté auto-suffisante confortable. « Confortable » ; la rumeur exagérait toujours au fil du temps. Elle nous exposait un peu plus aux dangers de conflits, de jalousie et d'envie. Mais notre organisation était maintenant bien rodée. Nous avions un planning bien ordonné jonglant avec les heures de quart de surveillance, de travail au potager, de pèche, de ramassage des œufs, des travaux ménager, de reconsolidation du bâtiment, de mécanique, de réparations multiples, de couture...

Je saisis la pierre blanche fortement chargé en calcaire et pointue posée sur le comptoir. Je dessinai un petit «M » sur le mur, à la suite d'une longue série de lettres qui se répétait tous les sept caractères.

« Mercredi ! »

C'était mon jour. Le jour où je me rendais au camp principal du centre-ville. J'étais excité à chaque fois que je m'y rendais. Quel serait mon lot d'informations et de surprises aujourd'hui ? J'aimais aller enquêter, fouiner, récolter des renseignements utiles. Mon parcours dans le camp était toujours le même, j'avais des points de chute obligatoire ; le centre de sécurité avec son stand de communication radio, le mini hôpital qui accueillait systématiquement les nouveaux arrivants, la tente du conseillé soudoyé par nos soins, et autres contacts malins et fouilleur comme moi. Vanessa insista pour m'accompagner allant à l'encontre de son agenda.

— Tu n'es pas de ramassage d'œufs ce matin ?

— Arf l'ennuie, le taff' de ouf' ! Je pense que Syv' peut s'en charger toute seule. En plus elle adore ces bestioles à plumes. Vas-y Mic, j'ai besoin de sortir de cette forteresse qui ressemble de plus en plus à une taule.

— Tu exagères un peu, non ? T'es bien contente d'y vivre dans cette taule.

— Ouais, ouais... Laisse-moi venir avec toi ! ... Et pourquoi je te demande d'ailleurs ? T'as pas le choix, je viens.

— Le choix, on ne l'a jamais avec toi.

— N'est-ce pas ? Tu m'aimes, hein ?

— Oui, c'est ça, soupirai-je.

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