Chapitre 15 : Le téléphone providentiel - partie 2

11 4 0
                                    

     Des bruits de moteur automobile nous interpellèrent. Comme nous étions habitués par l'absence de ce genre de son depuis des mois, le moindre retour de sonorité non-naturelle interpellait aussitôt nos tympans. Fred se pencha par une fenêtre au revêtement vitré disparu et aperçu deux véhicules cabossés circulant lentement entre les épaves et les gravats dans la rue adjacente. Fab tapota l'épaule de son ami pour le refocaliser sur notre objectif. On monta d'un niveau par l'escalier de service. La porte anti-incendie à double-battants résista à une première poussée. Avec six mains de plus, elle finit par pivoter. Nous refluâmes surpris à la vue d'un cadavre desséché, en parti décharné.

— Putain de merde, qu'est qu'il fout là ce con ! réagit Vanessa.

— Il est mort comme beaucoup de monde ces derniers mois, ironisa Fred.

— Sans déconner, mais de quoi il est mort ?

C'est vrai ça, de quoi ? Il n'y avait pas d'objet contondant à proximité du corps. Peut-être une chute l'envoyant se fracasser le crâne contre la porte, peut-être blessé mortellement ailleurs et traîné jusqu'ici, peut-être assassiné.

— Bref, on s'en fout, concluais-je. Continuons !

— On y est presque, c'est au fond du couloir.

Nous suivîmes Kylian en file indienne jusqu'à l'entrée du bureau du maire. « Mince, et si un autre collaborateur municipal survivant avait eu l'idée de récupérer ce téléphone » pensai-je subitement. L'épaisse porte en bois était fissurée dans sa diagonale. Vanessa devança Kylian et asséna un puissant coup de pied, jambe tendue, dans la paroi affaiblie. Elle chuta en deux morceaux à l'intérieur de la pièce.

— Sésame, ouvre-toi !

Kylian émit un petit sifflotement impressionné. Nous nous engouffrâmes dans le grand bureau. La pièce était relativement en bonne état. La grande baie vitrée avait explosé avec une partie de l'encadrement en métal tombée au sol. Du plâtre effrité parsemait et blanchissait le dessus du bureau monumental. Des plaques carrées du faux-plafond décrochées formaient un damier de jeu d'échec chaotique sur les dalles en imitation marbre. Kylian se dirigea immédiatement vers le meuble qui avait le moins de style, une simple commode en tôles d'acier avec une porte déroulante. Je le suivis de près et un objet posé sur le meuble de bureau basique attira mon attention. C'était une plaque rectangulaire aux dimensions d'une feuille de photocopie standard, recouverte de petites cellules noires photovoltaïques, maintenue debout par un socle en plastique. Un cordon en sortait avec à son bout une prise de smartphone.

— Putain de merde, un chargeur de téléphone solaire, m'écriai-je.

— Mon pote, si on trouve le téléphone intact, on peut dire qu'on aura un bol de cocu, s'avança Fred.

— Il est là, annonça Kylian accroupi, fouillant dans le meuble.

Il le dressa devant son visage et fit un demi-cercle sur lui-même pour nous le montrer à tous.

— Incroyable, il n'a pas un pète. Rien. On a plus qu'à le brancher au chargeur. Normalement, la pièce et notamment ce meuble ont été à l'abri de l'humidité et sont restés à température constante. La batterie doit encore fonctionner.

Soudain Fab resté à l'entrée, remarqua une curieuse nous observant. Kylian cacha le combiné dans la poche de son gilet et je masquai de mon corps autant que possible le chargeur solaire.

Une fille blonde à la peau d'un blanc laiteux peu ordinaire aux yeux bleus translucides assistait à notre découverte, adossé au mur du couloir. Elle devait être aussi âgée que nous.

— Bonjour, dit amicalement Fab.

— Qu'est que vous faite ? Demanda-t-elle sèchement.

— Oh, on cherche des trucs... Pour la survie, comme tout le monde quoi ! Bafouilla Fab.

— Et vous avez trouvé quoi ?

— Euh, rien de super intéressant. Du coup, on en profite pour faire une pause, mentis-je.

— Ouais, et on n'aime pas trop les petites fouilles merdes, tu vois, menaça Vanessa. Ce n'est pas contre toi en particulier, mais depuis le petit événement tragique d'il y a trois mois, nous sommes devenus un poil méfiant.

— Vanessa, arrête, elle n'a rien fait de mal !

— Allez ouste ! Va voir ailleurs si on y est !

Notre invitée impromptue s'évanouit au fond du couloir. Je pensais ne plus jamais la revoir, mais bien au contraire, sa rencontre allait chambouler notre avenir proche. Je me tournai vers mon amie et lui posai une main sur l'épaule ce qu'elle n'apprécia guère mais elle le supporta.

— Vanessa, va vraiment falloir qu'on travaille ton sens de la communication et de la courtoisie.

— Mic ! Réveille-toi ! Insista Vanessa sans plus de mots.

Je portai à nouveau mon attention sur Kylian. Il venait de brancher le smartphone au chargeur. Avec sa manche Fred avait épousseté le panneau voltaïque. Fab gardait toujours l'entrée. Les quatre autres têtes étaient penchées, fébriles, sur l'écran du smartphone. Quelques secondes passèrent qui parurent des heures, installèrent un climat de suspens. Tout à coup, un sablier lumineux apparut sur l'écran, et se mit à pivoter avec l'indication ; 1% en dessous du sigle mobile. Nous levâmes les bras à l'unisson en signe de soulagement et de victoire.

— Yes !

— Si la Française des Jeux existait encore, j'irais jouer une grille de loto.

— Tu m'étonnes, ça à l'air presque trop facile ! Dis-je.

Ma propre réaction déclencha un moment de réflexion et de doute dans mon esprit.

— Bon, va falloir attendre une bonne heure pour qu'il soit en parti chargé, prévint Kylian.

Il modifia l'inclinaison et la direction du panneau vers la fenêtre et le soleil dont les rayons commençaient à pénétrer dans le bureau du maire. Je tendis ma main au collaborateur municipal pour le féliciter. Il l'accepta et me la serra. Je serai un peu plus fort pour maintenir la prise et je lui lançai un regard insistant comme pour analyser son esprit.

— Merci beaucoup, finis-je par dire.

— Pas de quoi ! Dis Kylian sur un ton hésitant.

— Bon bah, patientons.

Chaos³Où les histoires vivent. Découvrez maintenant