Chapitre 21 : L'Exposition Universelle
Je fus réveillé par un aveuglant rayon de soleil surgi de l'horizon, noyant de lumière notre geôle percée. A contrario des jours précédents, le temps était éclatant d'un bleu d'été, où tous les nuages avaient été chassés du champ de vision. La chaleur de ce jet de l'astre mère et nourricier sur mon corps délabré réconfortait mon épaule traumatisée. Je commençais à ressentir un semblant de bien-être. Les quelques maigres heures de sommeil m'avaient un peu requinqué. La sensation d'irradiation et de fusion de mon épaule avaient laissé place à une rigidification, comme si on avait cimenté le haut de mon corps. Sensation bizarre, mais bien moins douloureuse qu'hier. L'intensité du rayonnement était telle que j'éprouvais de la difficulté à garder mes paupières ouvertes. Elles furent soulagées par l'ombre projetée de Marina qui se présenta devant moi, un mug métallique à la main surement rempli d'eau croupie.
« Tient ! ça vient de nous être servi, dit Marina en lui proposant le contenu du mug.
Je ne fis pas la fine bouche et accepta le geste. Contre toute attente, le liquide était agréable et sucré en bouche. Du thé glacé, de l'Ice Tea©, une boisson chimique qui semblait être le plus doux des nectars.
« Merci !
— Je t'en prie. Alors la nuit t'a inspiré ? Tu es prêt ?
— Pas vraiment. Je vais surement improviser. Et comme tu me l'as dit ; plus c'est gros, mieux ça passe !
— D'accord, mais ne sort pas une théorie trop débile non plus si tu veux garder tes balloches dans ton fute.
— T'as un problème avec mes parties génitales, ma parole ?
— Qui sait ? Peut-être que les tiennes me fascinent !
— Elles doivent être loin d'un enchantement en ce moment.
— Arrête ! je m'en fous de tes couilles ! Tu peux bien de les mettre dans le cul. Prépare plutôt un truc crédible, parce que si tu n'es pas convainquant, en plus de perdre tes boules, ma protection filiale risque de ne pas suffire à me garder en vie.
Marina m'avait remis tout de suite les idées en place. La perspective de revoir sa sœur et toute la fine équipe de fachos recommençait à me terrifier.
Plusieurs heures s'écoulèrent dans le silence, à ruminer, accentuant mon angoisse. Cela me rappelait lors des oraux d'examens, je préférais passer en premier que dans les derniers. Je ne supportais pas l'attente de mon passage. Les cent pas de Marina à travers la pièce en bougonnant n'arrangeaient rien. Nous devions être à la mie journée.
Soudain, le système d'ouverture de la porte claqua bruyamment, nous faisant sursauter. Le duo ; géant barbu, poupée de porcelaine, pénétrèrent dans notre cachot.
« Salut, Docteur, Sœurette ! Allez, on décolle, le roi est impatient de vous voir.
Le géant m'empoigna fermement et m'étrangla avec un collier de chien d'attaque relié à sa main par une laisse en chaine. Marina fut équipée de la même manière et ils nous trainèrent dans le couloir. Le carcan était tellement serré que je me demandais si j'aurai pu sortir un mot de ma gorge. Il tirait exagérément sur l'entrave, me compressant la glotte, provoquant des expectorations de bile. L'excès de bave coulait sur mon menton. La pression s'amenuisa quand il s'arrêta devant une double-portes, lâchant du mou. Un homme rachitique habillé d'une veste élimée de bateleur de cirque et d'un short Adidas©, attendait à l'entrée. Avec de grands gestes grandiloquents, il nous introduisit dans la salle du trône. C'était une grande salle de conférence en fait, mais redécorée, par un esprit narcissique à l'extrême, dans le style du Trône de Fer du roi des Sept Couronnes. L'estrade réservée aux conférenciers avait été d'avantage surélevée avec de grandes tables recouvertes de draps en velours rouge. Dessus était posé un magnifique fauteuil style Louis XV qui semblait tout droit sorti du Château de Versailles. Peut-être bien était ce le cas. Je devinais aisément que la personne qui siégeait dedans était A. H. Nemours, un petit homme frêle qui essayait de se donner de la prestance par ce décorum, ce rehaussage. Il était couvert d'une cape bleu marine brodée de lys en fil d'or et bordée de fourrure blanche, pour donner de l'épaisseur à ce corps famélique. Cette piètre mascarade était aussitôt éclipsée par une vue incroyable sur Paris. Tout le pan de façade de cette salle avait été débarrassée de toutes ses baies vitrées, parois occultantes, bardage. Seul subsistait le squelette métallique de la tour. Le vent et le froid s'engouffrait dans la pièce, ce qui me confortait dans l'idée que cette salle était réservée à l'apparat, une mise en scène grandiose pour impressionner les invités. L'effet escompté était là. Le spectacle de la cité à porté de main, cette sensation de dominer le monde étaient ahurissant, vertigineux. Je portais à nouveau mon attention sur la scène du roi. Des femmes en bikini frigorifiées gisaient lascivement aux pieds de A. H., attachées par une laisse en cuire aux accoudoirs du fauteuil. Une représentation de la supériorité masculine affligeante. En bas de la scène, les membres de la cour du roi, environ une cinquantaine de fachos, nous dévisageaient. Leur accoutrement tenait plus du déguisement que de l'habit. Cela allait du policier au punk à chien, en passant par l'uniforme nazi, la soutane de cardinal, le blouson en cuir de motard américain ou la tenue traditionnelle d'aristocrate tout droit sorti de la manif pour tous. Le bateleur en short s'avança et d'un large mouvement du bras, paume ouverte vers nous déclama :
« Mon seigneur, nouveau maitre de la Cité, empereur de Paris, voici... Micaël... Le devin !
Si je n'avais pas été autant terrifié, je me serais écroulé de rire face à cette scène ridicule.
« Merci Groucho ! C'est ce que nous allons voir, s'exclama A. H.
Groucho ? De Groucho Marx, non mais c'est une blague. Du délire !
« Alors mon ami, qu'avez-vous à nous révéler sur la genèse de cette catastrophe, que je requalifierais plutôt d'attaque, d'acte de guerre mondiale, n'est-ce pas ?
J'étais figé par l'angoisse, par l'absurdité du moment, du lieu, de ces gens.
« Allons ne soyez pas si timide ! vous pouvez vous approcher du bord pour mieux contempler l'œuvre du mal, si vous le désirez.
Irine fit signe à mon gardien de lâcher du leste à ma laisse, pour faciliter mes mouvements. Malgré mes blessures, mes vertiges et mes nausées, j'approchais du cadre de la façade dépouillée. J'avais l'impression de rentrer dans une peinture d'un artiste spécialiste des décors de fantaisie, de science-fiction. Marina me suivait du regard, inquiète d'un malaise ou d'une maladresse de ma part. Pensait-elle que je puisse me jeter dans le vide ? Le pouvais-je ? L'idée me traversa l'esprit brièvement.
Après avoir à nouveau observé la ville, je me retournais vers l'assemblé.
« Je crois... Je crois effectivement que cet évènement est bien une attaque... Mais... Qui n'est pas d'origine humaine !
Un brouhaha mêlant excitation et incompréhension flotta sur la cour.
« Silence, mes amis, coupa A.H. Alors vous croyez que des petits hommes verts sont venus nous agresser, nous conquérir, nous coloniser ? Hein, c'est bien cela que vous pensez ?
— Oui...
— Mais si c'est bien cela. S'ils sont venus pour exploiter notre planète... Où sont-ils ? Où sont leurs vaisseaux ? Que font-ils depuis le bombardement ?
— Je ne sais pas. Peut-être se préparent-ils ? Peut-être leur faut-il un temps d'adaptation à notre atmosphère. Peut-être ont-ils débarqué sur d'autres continents avant le nôtre ?
— Mon jeune ami, je dois avouer que je suis déçu mais je m'étais préparé à l'être. N'est-ce pas Irine ? Rabroua A. H. lançant un regard noir à la jeune femme. Vous n'êtes que de jeunes ados, noyés dans vos séries de science-fiction, vos réseaux sociaux, vos smartphones. Vous êtes les victimes d'une société consumériste qui a explosé sous les bombes des I.A. impérialistes ou soviétiques. Et puis après ça, plus rien. Vous êtes perdus et vous vous accrochez à vos désires superficiels d'enfant... D'avant. Et tout ça pour finir, me proposer une théorie sortie d'Independence Day. Tu te prends pour ce negro de Will Smith ?
— Non, je vous expose ce que je crois. C'est ce que vous vouliez, non ?
— Ce que je voulais ? Pas grand-chose en fait. Je voulais juste me divertir. L'amusement est devenu rare ces temps-ci.
— Ok, nous n'avons pas encore vu ces êtres venus... D'ailleurs ! Mais nous n'avons pas vu non plus nos agresseurs humain, si nous suivons votre pensée.
— L'attaque et la contre-attaque automatisées par des intelligences artificielles déconnectées de toute décision humaine. Voilà ce qui s'est passé jeune idiot ! Nous nous sommes auto neutralisés en ravageant le monde entier.
Cette théorie tenait la route, il est vrai. Mais, elle pouvait être aussi fantaisiste que la mienne. Personne ici ne connaissait les vrais rouages de nos défenses internationales. Les I. A. étaient très à la mode au moment de la catastrophe, mais toutes ces décisions de défense nationale étaient surement encore régies par l'action et l'interaction humaine.
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Chaos³
Science-FictionMa vie banale d'adolescent heureux se termina ce jour de chaos. La fin du monde marqua le début de ma nouvelle vie de survivant. On relativise pas mal de choses quand cela arrive, non ? Les priorités ne sont plus les mêmes, l'essentiel est ailleurs...