Sur le coup, je ne sus quoi répondre. Ma déception se transforma instantanément en contrariété déplacée. Ma fierté des jours derniers s'était subitement effacée. Je me dressais sur mes jambes et partis m'isoler au fond du club.
Je m'étais réfugié sur le cours le plus éloigné du club. Un banc en bois prévu pour le repos des joueurs entre deux jeux impairs était resté fidèle à son cours. Je le redressai et m'affalai dessus. Ces quelques jours avaient indéniablement métamorphosé notre monde et je pensais qu'il en était de même pour moi. Je pensais être devenu un homme, un vrai, après ces événements. Je pensais que cela m'avait forgé un mental en béton, à toute épreuve, sur lequel mes compagnons pouvaient se reposer. Je croyais vraiment en mes nouvelles capacités de rassembleur... de sauveur de l'humanité ! ...
« Oui, c'est vrai, je lis beaucoup trop de bouquins de SF... En fait, je ne suis toujours que cet adolescent banal, à la logique médiocre, à l'intelligence moyenne, au courage quasi inexistant. Oui bien sûr, c'est Romain et Edouard qui ont raison ! Tout a pété à Paris et c'est dans cet enfer où je veux mener mes amis. Que je suis stupide ! »
Il n'empêchait que l'idée de m'enterrer sur cette île ne m'enchantait guère. J'avais une soif de curiosité, de savoir ce qu'il s'était passé, ce que nous allions devenir à court terme. Y avait-il vraiment de l'espoir, ou notre société actuelle était-elle vouée à sa disparition inéluctable ? Que se passait-il chez nos voisins ? Jusqu'où s'étendait le désastre ? Quels sont les événements, les plans de secours ou d'invasion, les stratégies géopolitiques qui se tramaient ? Ma tête, lourde, tomba dans le creux de mes mains jointes posées elles-mêmes sur mes genoux. Je relevai mon crane rapidement jusqu'à ressentir un voile noir de quelques microsecondes, qui partit à la renverse dans le dos. Mes yeux fixèrent le ciel bleu traversé de nuages cotonneux par un vent d'altitude soutenu. Dans un état quasi hypnotique, mon regard se figea sur ce tableau réaliste. Soudain une pointe microscopique lumineuse traversa le ciel, telle une luciole arpentant en ligne droite une peinture de Gustave Courbet. Cette anomalie me ramena à la réalité. « Quelque chose manufacturiée volait dans le ciel ». Ma curiosité soudaine redescendit aussitôt. Cela volait beaucoup trop haut pour être un avion. C'était surement un satellite encore en activité, peut-être la station internationale. Mon cerveau embrumé fit une mise à jour rapide.
« Mais depuis que tu es sur cette terre, as-tu déjà observé un satellite ou la station internationale à l'œil nu ? Bien sûr que non, imbécile ! ... Mais avant la fin de tout, as-tu déjà contemplé le ciel au moins une minute ?... Non... »
Je ne savais plus quoi penser sur ce que je venais de voir. C'était peut-être juste un insecte qui m'était passer devant les yeux en premier plan, ou un rayon de soleil perforant le cumulus. Le bruit de pas sur les graviers recouvrant les allées du club me sortit de ma torpeur. Je me redressai sur mon banc. Quelques-uns de mes amis se portaient à moi. Syvanna, Vanessa, Fred et Fab traversaient le cours que j'occupais solitairement. Ils se dressèrent devant moi pendant quelques secondes. Syvanna prit l'initiative de s'assoir à côté de moi. Elle posa sa main douce sur la mienne égarée sur les lattes en bois du banc. Le contact de sa paume me ranima comme un défibrillateur. Un spasme de mon visage dirigea mon regard sur elle.
« Micaël... Je suis désolé pour ce qui vient de se passer. Mais il faut que tu saches que ce n'est pas forcément de la défiance envers toi. Au contraire cela prouve que notre groupe vit bien, que le débat est constamment ouvert, et que nous sommes capables de prendre du recul sur nous même pour prendre les bonnes décisions.
Mon visage acquiesçât sans une parole.
« Hé Mic, moi j'étais d'accord avec toi pour bouger, continua Vanessa. Je veux savoir ce qu'il se passe dans ce putain de merdier. Mais je me suis attaché à notre petit groupe de peureux. Et je n'ai pas envie de le mettre aujourd'hui en danger dans une expédition peu préparée. Par contre, dès que tu es prêt, compte sur moi pour t'accompagner.
— Moi aussi poto, toujours avec toi, mais ce n'est pas le moment, assura Fred. Les secours peuvent encore arriver. Je sais, ces sept jours ont été long, mais repense à notre vie habituelle où une semaine passait comme un éclair.
— L'important c'est d'assurer la sécurité des copains et de leur survie, continua Fab. Essayer d'être indépendant en alimentation et en hydratation. Patientons encore quelques jours. Fred a raison, les secours ne tarderons pas à apparaître.
J'écoutais mes amis contentieusement malgré mon regard vague. Mon allé retour des yeux s'acheva sur le visage concentré de Syvanna.
« Tu ne peux pas assurer toute la responsabilité de la survie de notre groupe sur tes épaules. Et tu en as supporté déjà beaucoup. Laisse-nous aussi t'aider. Et quand le temps sera venu, si nous ne sommes pas sauvés avant, nous te suivrons vers la destination dans laquelle tu crois.
— Dans laquelle je crois... Je ne crois plus en grand-chose Syv'...
Mon regard se confondait avec le sien. Je ne croyais plus à grand-chose, mais j'avais un espoir égoïste et superficielle de vivre une passion inconditionnée avec la fille qui me faisait face. Je levai mes mains et les fit claquer contre mes cuisses, comme pour me redonner un coup de fouet.
« Allons-y !
Je me levai énergétiquement et surplombait la fille qu'inondait mon cerveau de dopamine.
— Lançons-nous dans cette nouvelle expérience d'autosuffisance. Mais je vous préviens, je ne resterais pas planter ici plusieurs mois. Il arrivera un jour, surement avant l'hivers ou je la ferais cette expédition.
Nous repartîmes vers notre abri de fortune, préparer les plans et les méthodes pour cultiver des légumes, pécher, chasser du petit gibier, vider et conserver ses petits gibiers, cueillir, récupérer l'eau de pluie, s'isoler du froid, et bien d'autres choses inconnues pour nous ; enfants gâtés de cette société moderne.
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Chaos³
Fiksi IlmiahMa vie banale d'adolescent heureux se termina ce jour de chaos. La fin du monde marqua le début de ma nouvelle vie de survivant. On relativise pas mal de choses quand cela arrive, non ? Les priorités ne sont plus les mêmes, l'essentiel est ailleurs...