2ème partie
CHAP. 12 : Nouvelle saison
Le feuillage des arbres avait changé de couleur, s'était tinté de sang et de feu. Cela faisait trois mois que le souffle de la mort avait tout ravagé. La nature avait repris son court et avait adouci les lignes acérées des décombres. De la mousse verte, grise avait repeint les blocs de béton. Les mauvaises herbes s'en donnaient à cœur joie pour redessiner le paysage. Les plantes sauvages rebouchaient les crevasses et les fissures. Des automobiles éventrées servaient d'habitat pour des centaines de nids d'oiseaux. Des canalisations d'eau qui avaient surgit du macadam accueillaient des terriers de lapins, de mulots et autres ragondins. Le centre-ville, la place du marché et la place de la collégiale s'étaient organisés en véritables camps de réfugiés avec des structures en dur ; un hôpital de fortune, un petit marché, un mini bureau municipale et un petit poste de police-secours. L'hôpital réunissait la plupart des médecins et infirmier(es) survivants de la ville. Un peu de chance avait préservé la vie du seul chirurgien traumatique de la collectivité. Les semaines suivant la catastrophe, le professeur Showlky avait fourni un travail surhumain enchaînant les opérations et les amputations vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec pour instruments des couteaux de cuisine, des pinces de bricolage et de l'eau croupi. Autant dire qu'il a eu le pire taux de décès de sa carrière. Le petit marché avait été organisé par des survivants locataires de petits carrés de potagers du bord de Seine. Le troc et la solidarité étaient la monnaie d'échange. La couturière achetait des salades contre un recousage de pantalons, l'ouvrier en bâtiment échangeait un renforcement de structure de cabane contre des tomates et des pommes de terre. Le marché avait aussi son boulanger mais le stock de farine qu'il avait réussi à sauver des ruines de sa boutique commençait à devenir critique. Il avait reconstitué un four à pain dans un vieux poêle domestique. Une expédition se préparait pour récolter un maximum de sacs de farine dans la plus grande fabrique industrielle de baguettes située à une centaine de mètres du Décathlon, en espérant qu'ils n'étaient pas percés par des débris ou par les dents de rats ou autres bestioles, ou inondés et pourris. La viande était devenue une denrée quasiment inexistante et scandaleuse. On soupçonnait un éminent avocat d'avoir fait préparer par un boucher sans activité, un lapin pour son anniversaire. Ce même avocat s'était désigné volontaire pour être membre du conseil municipal de transition. Il était constitué de six personnes ; cet avocat, une ancienne fonctionnaire de la mairie, le chirurgien traumatique souvent absent des réunions du conseil, un ancien capitaine de police, le prêtre catholique Jean officiant à l'église St-Anne et Stéphane un ouvrier sur chaîne de l'usine Renault de Flins qui a été un des premiers à organiser le camp.
Le poste de sécurité d'urgence réunissait des policiers, des militaires, des pompiers et des ambulanciers. C'était une équipe de vingt personnes en tout. Le puits datant du moyen âge de la Tour St Macloud avait été rouvert fournissant le camp en eau potable. La vie s'était organisée. Une première vague de cadavres exposés à l'air libre avait été brûlée sur le parking à l'arrière de la collégiale après un office religieux très succin. Les blessés graves les plus faibles étaient morts les jours suivant, conduisant à une deuxième vague de crémation. Trois semaines plus tard, les malades infectés succombèrent à leur tour et finirent brûlés sur le tas d'ossements noirs.
L'arrivée de l'automne et de la chute des températures amenèrent une inquiétude grandissante. Les cultures se faisaient plus rares malgré la pousse des légumes d'hiver. Mais une gelée, une grêle ou l'inondation des bords de Seine pouvaient anéantir tout espoir d'avoir des légumes pendant ces nouvelles périodes de froid. Les stocks de denrées sauvés des décombres, des différentes épiceries, supérettes, fondaient comme neige au soleil. Des restrictions avaient été mis en place par le conseil avec l'aide des agents de la sécurité. Mais toutes ces personnes de bonne volonté n'avaient aucune légitimité légale pour le maintien de l'ordre et les décisions de justice. Ils ne pouvaient éviter les actions parallèles, nocturnes de petits groupes de survivants dans les ruines des commerces alimentaires.
Nous-même avions participé à ces actions pour notre survie. Était-ce de l'égoïsme, de la lâcheté, mais nous ne participions pas à la communauté à proprement dit. Nous arpentions le camp une fois par semaine pour échanger le produit de notre potager et de notre pèche contre des produits et des services nécessaires à nos besoins quotidiens ; rafistolage de nos godasses, conseils sur la culture de notre potager, eau potable du puits, serviettes hygiéniques, paracétamol, pièces détachées pour monture de lunettes (ces micros-vis pour fixer les branches de lunettes) ...
Nous pouvions affirmer que monsieur l'imminent avocat avait bien eu du lapin pour son anniversaire, mais nous gardions le secret. C'était nous, sur notre île, qui avions attrapé cette petite bête si mignonne, au pelage si doux, au regard si attachant, une peluche vivante. Pourtant les émotions étaient passées au second rang quand, Karl s'était porté volontaire pour lui tordre le coup.
« J'ai déjà tué un homme, je devrais être capable de tuer un lapin, avait froidement déclaré notre ami. »
En contrepartie, l'avocat avec la complicité d'un pharmacien nous avait offert six mois de trithérapie avec un dosage aléatoire non personnalisé pour Tania, mais c'était toujours ça.
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Chaos³
Fiksi IlmiahMa vie banale d'adolescent heureux se termina ce jour de chaos. La fin du monde marqua le début de ma nouvelle vie de survivant. On relativise pas mal de choses quand cela arrive, non ? Les priorités ne sont plus les mêmes, l'essentiel est ailleurs...