Chapitre 09 : Rescousse - partie 2

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    Karl ne lésina pas sur l'accélérateur au démarrage. Nous décollâmes littéralement dans une gerbe de graviers. La tête repoussée en arrière, je m'accrochais au mieux à la taille de mon barjot de camarade. Arrivés au passage étroit du camion couché sur le pont, je fermai les yeux face au vide. Karl passa d'une traite à folle allure. La suite du trajet ressemblait à un très long slalom avec pour piquets des carcasses d'automobile et des gravats. L'effort soutenu me tira les muscles des bras, de la nuque et de la barre abdominale. Au bout de cinq minutes, j'étais déjà épuisé.

Au son du moteur, des rescapés curieux et avides d'espoir s'agglutinaient sur le bord de la route. Karl maintenait une certaine vitesse pour ne pas être intercepté par des envieux. Il ne voulait pas répéter la mauvaise expérience du Decathlon©. Parvenus à la voie ferrée, le passage par les rails était périlleux. Nous descendîmes du scooter et Karl manœuvra habilement l'engin sur les pentes des contreforts. Nous progressions rapidement. Karl prit garde au dérapage au moment de rouler sur la nappe d'hydrocarbures de la station d'essence inondée. Nous étions en vue des ruines de la maison des sœurs. J'avais les avant-bras tétanisés. L'appréhension me serra les entrailles. Karl stoppa le motocycle juste devant le monticule de briques. Je descendis de la selle. Karl resta en position maintenant les gaz ouverts. Je contournai le tas. Une forte odeur insupportable imprégna mes narines. Le corps de la mère avait commencé sa décomposition. La main était devenue noir. De minuscules verres blancs s'insinuaient dans la chaire. Deux de ses doigts était arrachés, surement déchiquetés par des chiens affamés. La vision de ce bout de chair était horrible mais sa présence démontrait qu'il n'y avait pas eu d'action humaine dessus. Syvanna voulais recouvrir les restes de sa mère. Elle ne serait donc pas passée ici. C'était son objectif final. L'angoisse de son absence se fit plus présent. Je masquai tant bien que mal la main en charpie avec deux grosses pierres. Je rejoignis Karl, tête basse.

— Je crois qu'ils ne sont pas arrivés jusqu'ici.

— Bon bah ne perdons pas temps, monte. On va chez Edouard.

Nous reprîmes notre parcours du combattant éprouvant pour le corps et pour les nerfs. Edouard habitait le vieux centre-ville de Mantes la Ville. Les rues étaient étroites et biscornues. L'artère où il vivait avec sa mère était complètement obstruée par les vieux immeubles effondrés.

— Merde, il n'y a plus un immeuble debout ici.

— On dirait une carrière de pierres.

— Ça ne passera pas avec le scooter, dit Karl avec évidence.

— Reste là, je vais grimper là-haut pour voir si le groupe est là.

— Fait gaffe de ne pas te casser la gueule Fil de fer.

Je gravis prudemment la montagne de gravas et atteignis le point culminant. J'avais une large vue d'ensemble. La rue s'était transformée en une longue chaîne de massifs composé d'un mélange de pierres, de fers de fondation, de poutrelles d'acier et de bois fracassé. A part un chien errant au loin qui mastiquait quelque chose (je ne préférais pas savoir quoi) coincée entre deux parpaings, il n'y avait personne. C'était désert. La descente du monticule s'avéra beaucoup plus compliqué que la montée. Les pierres roulaient sous mes pieds et s'effondraient les unes sur les autres. Je provoquais des mini glissements de terrain. Je faillis plusieurs fois m'étendre sur les débris. Soulagé d'être redescendu sur la terre ferme, je m'empressai d'enjamber le scooter.

— Personne ici non plus. On s'arrache.

Nous contournâmes le quartier rasé et nous rendîmes dans le celui des Brouets, là où vivait la famille de Cindy. Sa maison était accolée à une échoppe. La rue la desservant était relativement dégagée. A l'approche, Je ressentis que quelque chose n'allait pas. Je tapotai l'épaule de mon pilote pour l'intimer de ralentir et rouler au pas. Un amas de débris, de déchets et de meubles brisés barrait la chaussée. Ceci n'était pas naturel. C'était une construction sommaire humaine. Des individus cherchaient à empêcher l'accès à cette portion de rue, surement pour se protéger. C'était une bonne nouvelle. Cela démontrait que des habitants rescapés de ces maisons survivaient ici. Karl stoppa le scooter devant la barricade. Je levais mes fesses de la selle et me hissais sur les cales passager de l'engin pour prendre de la hauteur. J'observai au-delà du rempart et repérai la maison de Cindy. Un autre barrage était érigé de l'autre côté à une trentaine de mètres. Pas un bruit, personne... L'atmosphère lourde ne m'inspirait pas confiance. Ce silence était menaçant. Les structures des maisons et de l'échoppe étaient étonnamment intactes. Cinq vélos tout terrain était stationnés et alignés dans un certain ordre reposants contre le muret de la boutique. Il y avait des gens valides à l'intérieur. Se cachaient-ils ? Nous guettaient-ils ? Nous avaient-ils entendu arriver ?

— Coupe le moteur, demandai-je doucement. Gardons le silence pour le moment.

— T'as raison, l'endroit est bizarre.

Chaos³Où les histoires vivent. Découvrez maintenant