Chapitre 04 : La traversée de la ville - partie 2

21 3 12
                                    


     Je commençai à gravir une plaque de béton avec Romain, Fred, Fab, Moïse et Karl. Edouard restait avec Cindy assis au pied d'un lampadaire tordu, toujours enfermée dans son mutisme. Syvanna, Vanessa et Tania se dirigeaient vers l'homme en pleur, proposer leur aide.

Arrivés en haut de la plaque de béton, nous découvrîmes un interstice. Je me glissai dedans. Je me coupai légèrement avec un fer à béton. En bas de la fracture, je trouvai un quart de fenêtre accessible. Je me glissai, en prenant garde de ne pas me blesser à nouveau, dans l'infime ouverture et débouchai dans un salon, une pièce aux quatre murs intactes. Seul une large fissure divisait le mur au-dessus de la porte d'entrée. Mes compagnons arrivèrent l'un après l'autre. Il n'y avait ni vivant ni mort dans ce salon.

— Ce n'est pas notre appartement, remarqua Romain.

J'enlevai le loquet de fermeture de la porte d'entrée et essayai d'ouvrir en tirant la poignée sans succès.

— Merde, c'est coincé ! Le mur doit peser sur la porte.

— Pousse-toi chiffe molle ! Intervint Karl. Je m'en occupe.

Il tira de toutes ses forces et la porte commença à pivoter en grattant le sol, jusqu'à ce que l'ouverture soit suffisante pour se glisser dans le couloir. Romain se faufila dans le sombre couloir suivi de Karl et Fred.

— On y voit que dalle !

Romain tata de la main le mur du couloir à mi-hauteur jusqu'à atteindre un interrupteur. Sa pression ne provoqua aucune luminosité. Bien sûr le courant était coupé.

— Mic, t'as de la lumière ? Interpela Karl.

Le seul smartphone de Fab encore en marche, sans réseau et avec le peu de batterie qu'il restait, ne pouvait plus servir qu'à ça ; une lampe torche. Fab progressa dans le passage éclairant celui-ci. Romain reconnaissait le milieu dans lequel il se mouvait. Il conduisit ses compagnons en silence vers son appartement. Il stoppa net devant la porte de chez lui. Il baissa la poignée de la porte qui coulissa d'une légèreté étonnante et sans grincement. Elle pivota sur ses charnières sans effort.

Romain en éclaireur pénétra dans le hall de l'habitation. Dans cet aspect obscur, il paraissait intact. Tout le groupe se regroupait dans ce hall d'entrée. Un mince filet de lumière provenant d'une fenêtre quasiment obstruée éclaircissait à peine la pièce. Fred, projetant la lumière de son téléphone, découvrit à nos regards une salle à manger à demi-effondrée. Un soupire de découragement sortit de la bouche de Romain.

Au coin de la pièce encombrée de plâtre et de béton, nous entendîmes un râle de douleur. Fred dirigea le faisceau lumineux aussitôt dans cette direction. Nous découvrîmes une femme à semi ensevelie sous les décombres.

— Maman, s'écria Romain.

Il se jeta à genoux près de sa mère. Elle était prisonnière des gravats depuis plus de vingt-quatre heures. Ses dernières forces l'abandonnaient. La vue de son fils en bonne santé décompressa son corps meurtri.

— Mon fils, tu es là, indemne... hoqueta la mère.

— M'man, on va te sortir de là !

— C'est beaucoup trop lourd... Va avec tes amis demander l'aide des pompiers...

— M'man, ce n'est pas juste un accident genre une explosion de gaz. Dehors c'est la fin du monde. A perte de vue, il n'y a plus rien. Tout est rasé ! Pas de secours à espérer. Nous sommes seuls pour t'aider...

— Votre fils à raison madame. Tenez bon, nous allons déblayer doucement, dis-je.

Karl déplaça le morceau de béton qui semblait le plus lourd. La réaction de décompression du torse ne se fit pas attendre. La mère de Romain toussa du sang et s'étouffait. Nous étions désemparés face à la situation. Aucun d'entre nous ne connaissait les premiers gestes de secours d'urgence. Le sang s'accumulait dans sa bouche et sa gorge. Moïse eut le réflexe de pencher la tête sur le côté évacuant l'hémoglobine sur le sol. La femme respirait et expirait difficilement en produisant des grappes de bulles de sang.

— Oh mon dieu, ma mère est en train de cre...

— Non, non, faut jusqu'elle est de l'air pour respirer, assura sans aucune conviction Karl.

La maman de Romain tendit son bras disponible et de sa main ensanglantée caressa la joue de son fils. Une réaction lacrymale instantanée inonda celle-ci.

— Mon fils, ne cherche pas ton père en vain. Il est au-delà de ses décombres, à côté de notre Jésus Christ bien aimé.

— Qu'il aille se faire v...

— Ne blasphème pas mon fils !

— Mais maman, faut que tu tiennes le coups... pour moi...

— Je sens que je pars... Mais ne t'inquiète pas pour moi, il n'y a plus de douleurs... Tu es vivant... Reste unis avec tes amis et vous survivrez par la grâce de Dieu...

Ses doigts glissèrent lentement de la joue de son fils y laissant cinq traînées de sang et retombèrent lourdement au sol. Ses yeux se fixèrent, les pupilles dilatées pour toujours. Le cri de douleur du fils déchira l'espace de l'immeuble en ruine. Romain s'effondra sur le corps de sa mère. Karl le tira par les épaules et l'attira à nous. Nous l'enlaçâmes tous dans la même tristesse. Son corps céda et il tomba sur le côté nous emportant tous au sol. Cela ne disloqua pas notre étreinte et nous finissions en larmes allongés les uns sur les autres. Puis vint une espèce de recueillement, de silence, de reniflements. Je m'extirpai du regroupement en roulant sur moi-même sur le côté. Puis les autres firent de même. Je m'assis et m'adossai au mur de la pièce. Romain me surpris par son attitude. D'un geste rapide de la manche, il essuya son visage de ses larmes et se releva aussitôt. Il se dirigea vers l'extrémité de la salle à manger et à couvert des gravats, un bout de porte ouverte dépassait. C'était l'entrée de sa chambre. Il se baissa et à quatre pattes il pénétra dedans.

— Eh, tu ne veux pas de la lumière pour aller là-dedans, demanda Fred.

Pas de réponse, un petit moment passa et Romain ressortit de sa chambre brandissant un étui à lunettes.

— Regardez les mecs, enfin une bonne nouvelle. Juste en tâtonnant le sol submergé de merde, je suis tombé du premier coup sur mes putains de lunettes ! triompha Romain avec un large sourire.

— C'est super mon pote... Mais putain, tu viens juste de perdre ta mère, fit remarquer Karl.

— T'as besoin d'un peu de temps pour réaliser Romain. Poses-toi dix minutes pour te remettre, conseilla Moïse.

Romain se précipita sur Moïse et le releva prestement par le col. Je me levai et agrippai le poignet de Romain pour éviter tout geste inconditionné. Karl lui saisit la taille pour l'éloigner de Moïse.

— Qu'est-ce qu'il y a les gars ? J'ai obtenu ce pourquoi j'étais venu, on peut se casser maintenant !

Romain quitta l'appartement subitement suivi de Karl et Moïse. Je tirai une nappe encrassée et recouvris le visage de la défunte. Fred sortit de la pièce. Fab me tapota l'épaule.

— Allons-nous-en. Nous ne savons pas si la structure de ce bâtiment est sûre. Il pourrait s'écrouler à tout moment.

Je me levai, jetai un dernier regard au linceul et suivit mon ami dans le couloir.

Chaos³Où les histoires vivent. Découvrez maintenant