Chapitre 06 : Objectif ; maisons des filles - partie 2

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Nous repassâmes devant le poids-lourd éventré. Ce coup-ci, nous contournâmes tous l'engin par l'étroit accès surplombant la seine. Nous ne voulions pas à nouveau nous couvrir de graisse sur l'essieux. Karl jeta un œil dans la remorque.

— Les réserves se sont atténuées. Nous ne sommes pas les seuls survivants à nous être servis.

— J'espère que Moïse et Edouard ne tarderont pas trop à revenir ici pour refaire notre stock de bouffe, s'inquiéta Fab.

— Ils ont dit qu'ils viendraient ici une heure après notre départ, rassura Syvanna.

— Ils ont intérêt à respecter leur planning s'ils ne veulent pas que je leur botte le cul, menaça Vanessa.

Comme hier, la progression vers le centre-ville était longue et fastidieuse. Je voulais repasser par la grande place du marché où devait être rassembler d'éventuels secours ou du moins des personnes responsables renseignées ; flics, pompiers, journalistes, médecins ou élus locaux.

Arrivés sur place, la vision désolante de la place me rappela en pire la scène du stade du Superdome de New-Orleans après l'ouragan Katrina. Peut-être deux ou trois milles personnes se trouvaient là. Des centaines étaient allongées à même le sol, ou sur des cartons, ou sur des restes de matelas. Des dizaines d'abris de fortune, de semblants de tentes bricolées champignonnaient. Au centre, une centaine d'autres s'attroupaient autours d'un petit groupe d'hommes et de femmes. Je pensais que c'était là que j'aurais des réponses. Nous pénétrâmes sur la place, slalomant et enjambant les blessés étendus. En nous rapprochant, nous nous rendîmes compte que certains corps allongés étaient morts, certains affreusement déformés, défoncés et ensanglantés. Certains étaient assis hagard en petits groupes, nous regardaient d'un air lunaire, sans réaction face à notre dérangement.

Parvenus à la concentration d'individus, je fis signe au groupe.

— Avec Karl, nous allons essayer d'aller au centre pour obtenir des informations. Ça ne sert à rien d'y aller tous ensemble, il y a trop de monde. On se retrouve ici.

— Dépêchez-vous, ça put la mort, geignit Vanessa.

— Va falloir t'y habituer ma vieille, corrigea Karl.

— Laisse-là tranquille, intervint Fred.

— C'est ça, occupe-toi de ta nouvelle chérie.

— Ta gueule !

— Eh, on se calme. On doit rester unis. Allez Karl, on y va.

Mon compagnon costaud en tête, nous nous frayâmes un chemin vers le centre de l'attroupement. Le cheminement n'était pas simple. Tout le monde voulait des réponses, agglutinés les uns aux autres. A trois rangés concentriques du but, Karl ne pouvait plus progresser. Il me dégagea de ma position derrière son dos et me poussa devant lui.

— Tu es plus fin que moi fil de fer, cria Karl. Tu vas arriver à te faufiler.

Après d'intenses efforts et quelques coups de coude, je m'extrayais comme un bouchon de champagne de la mêlée devant un groupe d'une douzaine de personnes encadré par des barrières et des tables. Trois portaient un gilet jaune floqué d'une croix rouge, un une blouse de médecin, trois des uniformes d'infirmier, deux des uniformes de policier et deux en civile. Une pression dans le dos me fit basculer le haut du corps par-dessus la barrière. Je pris appui sur la table jouxtant celle-ci et réussit à me redresser. Une jeune femme vêtue aux couleurs de la police municipale s'approcha de moi.

— Du calme derrière ! on se calme ! tonna-t-elle en posant ses mains sur mes épaules.

Etant à la portée de ma voix, je ne ratai pas l'occasion de lui parler.

— Que s'est-il passé madame ?

— On n'en sait rien ! Pas de communication depuis l'incident, pas de secours, pas de renfort ! Rien ! C'est surement une attaque ! atomique peut-être.

— Ou une explosion d'une de nos centrales nucléaires ?

— Peu probable... La déflagration a été beaucoup trop importante !

— Quels sont vos ordres maintenant ?

— Aucun ! je n'ai plus de hiérarchie. J'ai survécu avec mon coéquipier dans notre véhicule de service par miracle. On essaye juste de s'organiser avec les personnes de santé compétentes ici présentes pour aider la population.

— Qu'est que vous nous conseillez de faire ?

— Si vous avez des compétences en médecine, aidez-nous. Sinon, trouvez un abri sûr, de la nourriture, de l'eau claire et des vêtements chauds pour la nuit. Soyez solidaire, aidez au possible vos camarades et prenez votre mal en patience.

— Merci, et que...

Une prise dans le dos de mon sweat et une forte traction vers l'arrière interrompit mon dialogue. Je ne résistai pas, de toute façon je n'aurais pas plus de renseignement à ce stade. Karl me saisit dans ses bras dans ma reculade incontrôlée.

— Et alors, c'est bon ? Tu as eu ce que tu voulais ?

— Oui, mais je n'en sais pas beaucoup plus !

Nous nous arrachâmes de cette cohue et retrouvâmes nos amis. Ils m'entourèrent, impatient de m'écouter.

— Désolé, mais en gros, personne ne sait rien, il n'y a plus aucune organisation, pas d'ordre. On doit survivre et patienter par nos propres moyens.

— Mais encore ?

— Je viens de le dire Fred, on se démerde ! On prend soin des nôtres.

— D'accord, j'ai bien compris. On peut quitter cette place de rats crevés maintenant, apostropha Vanessa.

— Je ne l'aurais pas dit comme ça, mais je suis d'accord avec Vaness', reprit Syvanna.

— Ok, on s'arrache.

Chaos³Où les histoires vivent. Découvrez maintenant