Chapitre 2 - Nolvine

7 0 0
                                    


Pendant deux ans, j'ai travaillé dans mon entreprise en étant un vrai fantôme. Évidemment, on connaissait mon nom et mon visage, mais je veillai toujours à être absente de tout : repas de Noël, apéro d'été, torrée , bref, je me faisais discrète. Comme j'étais jeune, certains garçons, souvent majoritaires dans ces industries, cherchaient à « faire ma connaissance. » Ma froideur les avait vite remis à leur place. Cela jeta un peu un froid au début, mais heureusement, le directeur de l'entreprise n'en tenait pas rigueur. D'ailleurs, je m'entendais bien avec lui, il était le seul à ne me faire aucun commentaire lorsque je déclinais les invitations aux événements de l'entreprise, il faisait bien, car cela m'amena à augmenter mon respect envers lui et cela facilitait mes relations professionnelles. Sinon, que vous dire... je vous ai dit que j'étais la nouvelle cadre des RH, soit la chef de deux RH et deux assistantes RH. Je vous dirais bien leurs noms, mais le mieux est que je vous parle de collègue une, collègue deux, collègue trois et collègue quatre. Niveau travail, je n'avais pas à me plaindre, elles étaient efficaces et s'adaptaient bien aux changements. De plus, face au personnel, elles ne manquaient pas de cran et géraient très bien le « pont » entre la direction et les besoins des employés. À mon arrivée dans l'entreprise, les RH étaient bien vus, et cela continua avec moi, donc professionnellement je n'avais rien à dire. Au contraire, elles étaient efficaces.

Par contre, socialement je ne pus jamais m'y faire.

Les quatre étaient d'une superficialité acharnée. Elles n'avaient pas vraiment d'avis, elles étaient des modes sur pattes. Quand j'étais arrivée dans l'entreprise, j'eus le droit à des discussions sur le fait que « manger de la viande, c'est mauvais et pas écologique, il faut faire attention... » enfin bref, tout le bla-bla habituel, accompagné des fameuses phrases « oui, moi mon mari a accepté de faire un effort pour notre famille. Il est engagé mon Louis, c'est un bon, pas comme ce salaud de Michel, notre voisin, qui fait des barbecues chaque été. Ah ça, ce n'est pas cet égoïste qui ferait le moindre effort pour l'environnement ».

L'environnement... elles venaient tous les matins les quatre, chacune dans leur voiture, alors qu'elles habitaient dans le même village, et je pense qu'il est inutile de vous préciser que leurs voitures étaient des 4x4 urbains peu recommandables pour la planète. Une fois, je leur ai parlé de covoiturage, car l'entreprise voulait pousser ses employés à utiliser ce moyen, elles m'avaient répondu qu'elles « aimeraient bien » et qu'elles y « penseraient », mais que ce serait « compliqué » pour elles.

Mouais. C'est ça.

Enfin, en attendant, l'année d'après la mode de ne pas manger de viande était passée, elles en remangeaient toutes et je crois qu'elles ne s'en étaient même pas rendu compte. Par contre, elles étaient à fond dans le bio, parce c'était la mode de l'instant. L'environnement et le véganisme, c'était dépassé, désormais, il fallait manger sain, et donc bio. Oui je sais, le bio n'est pas forcément synonyme de manger sain, mais allez le leur expliquer... Dans ma vie, j'en avais croisé des gens superficiels sans vraiment de personnalité, mais elles, elles avaient la palme d'or. Toujours est-il que je ne m'entendais vraiment pas avec mes employées, et qu'elles me le rendaient bien, car en dehors du travail, elles évitaient soigneusement de m'inviter à boire un verre le vendredi. Ne croyez pas que cela me dérangeait, au contraire.

Notre bureau était situé tout en haut de l'entreprise (on est en campagne pas en ville, le haut se situe au troisième étage), et avait la particularité d'être entièrement vitré, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. Côté extérieur, les vitres étaient évidemment teintées et à l'intérieur, on pouvait nous voir depuis le couloir, mais pour rentrer, il fallait quand même sonner et c'est moi qui décidais d'ouvrir la porte ou non. Nos ordinateurs étaient en revanche installés pour que notre écran ne soit visible ni des gens dans le couloir ni de nos collègues. À côté de notre bureau, il y avait un autre bureau entièrement vitré et c'était celui du directeur de la boîte. Sa particularité était que les vitres étaient translucides et que lorsqu'on y entrait, on tombait sur Nolvine, son assistante. Son prénom bizarre me surprit la première fois, et elle était assez différente des autres personnes dans l'entreprise. Bon déjà, elle était l'inverse de moi sur le plan physique. Nolvine avait un an de moins que moi, et elle était blonde aux yeux bruns. Elle était jolie, souvent souriante, mais très discrète. On pouvait penser en la voyant qu'elle était du genre à faire la fête, mais pas du tout, d'ailleurs elle était encore plus silencieuse et effacée que moi. De temps en temps, on se parlait, professionnel oblige et la première fois que j'avais eu affaire à elle, je fus un peu secouée, je dois bien l'avouer. En entrant dans le bureau pour aller voir mon patron, je dus passer par elle, je m'étais retrouvée face à cette jolie blonde souriante, assez fine et chaleureuse. Je me souviens que j'avais dû patienter un petit moment, et qu'elle avait reçu un coup de téléphone. Sa voix avait beau être douce et clair, elle n'en avait pas moins un sacré caractère et savait s'affirmer. Cela m'avait tellement surpris de l'entendre remettre à l'ordre son interlocuteur, que je m'étais dit « en voilà un qui passe un sale quart d'heure ». Ce n'était pas tellement ce qu'elle disait qui me fit sourire, mais plutôt la façon dont elle le faisait. Nolvine était une assistante de direction, une vraie, et elle était très forte dans ce domaine. Lorsqu'elle avait raccroché, j'en avais profité pour lui demander une place de parc au début de mon contrat, elle m'avait souri légèrement et après qu'elle m'ait dit qu'il n'y avait aucun problème, je la vis prendre le téléphone, appeler le concierge et de nouveau, montrer un autre visage d'elle. « Oui, c'est moi. La nouvelle chef des RH aimerait une place de parc. Comme elle fait partie des cadres, il lui en faudrait une près de l'entrée, si possible devant nos bureaux... Comment ça y'en a plus? Tu te fiches de moi? Quoi? En fin de semaine? Non, il lui en faut une tout de suite, alors arrange-toi comme tu peux, mais c'est maintenant, pas demain! Et je te rappelle qu'il s'agit de la nouvelle CADRE des RH! » Elle raccrocha fortement le téléphone en marmonnant un bref « Ah je vous jure, y'en a faut se faire entendre pour obtenir quelque chose » puis elle leva la tête et me dit, gentiment « c'est tout bon, il s'en occupe. Je vous communiquerais dès que possible le numéro de la place en question ».

L'ombre des puissantsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant