Chapitre 4 - La défaite

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Le lendemain matin, nous étions calmes. Tellement que le déjeuner se fit sous un lourd silence, aucun mot ne fut échangé. Nolvine avait son esprit préoccupé par son passé qui était revenu la hanter, elle faisait le maximum d'effort pour oublier à nouveau son enfance tortueuse et faire comme si rien n'avait existé. Elle avait peur, j'ose même dire qu'elle était terrifiée. Qui pourrait la blâmer? Elle ne pouvait demander de l'aide à personne. Police et justice étaient aux abonnés absents, les médias étaient commandés, les chasseurs de prime bien trop chers et elle les détestaient. De plus, Nolvine faisait tous les efforts du monde pour rester le plus possible une personne de bien. Je crois même qu'elle essayait de leur pardonner, mais n'y arrivait jamais. C'était son fardeau, sa douleur, son boulet, qu'elle traînait chaque jour et elle faisait de son mieux pour avancer quand même. Après sa mort, allait-elle être jugée sévèrement sur sa vie? Elle ne le méritait pas, car parfois, abandonner demande un plus grand courage que de rester se battre. Si une personne avait appris cela, c'était bien elle.

Mais elle souffrait, énormément. Et seule moi pouvais savoir à quel point elle haïssait la société. Elle avait beau avoir un physique de mannequin, être plutôt souriante et agréable, elle avait passé une sorte de pacte avec le monde : « Tu me fous la paix, je te fous la paix » et Nolvine s'y tenait fermement. En dehors de moi, elle ne connaissait personne et était totalement effacée. Elle était froide et pas très amicale avec la plupart des gens, et cela allait continuer bien longtemps, je pensai même que cela pouvait durer ainsi durant toute sa vie, car elle avait peur. Voulais-je finir comme ça? C'était la question que je me posais, car après tout, c'était la recommandation indirecte de mon amie. Je me devais d'accepter la défaite, que le monde était moche, malsain et que notre pays n'était plus ce qu'il était autrefois. Plus les années allaient passer, plus le climat ambiant allait devenir austère et tendu et donc, cela allait aller de plus en plus mal. D'après Nolvine, tout désir de vengeance était inutile et n'était qu'un rêve d'une personne de bien, martyrisée par des puissants qui s'octroyaient tous les droits. Et puis, pourquoi se venger? Pour devenir à notre tour des gens méchants? Il y en avait bien assez comme ça. Il fallait s'effacer, c'était la meilleure des pires solutions.

Et Dieu sait que j'ai essayé. Après le déjeuner, nous avions fait des promenades, discutions de tout et de rien et l'ambiance chaleureuse de notre amitié reprenait sa place. Mais Nolvine le vit, mon esprit ne voulait pas accepter la défaite. Le soir, elle me fit part de son agacement et me poussa une nouvelle fois à accepter que je ne puisse rien faire. Le lendemain, nous retournâmes au travail et le soir, je retournai chez moi, même si je n'en avais pas envie du tout. Nolvine ne voulait pas me laisser seule, mais je lui dis que cela « allait aller ».

Évidemment, cela n'allait pas du tout.

Arrivée chez moi, le silence (enfin, en omettant les hurlements quotidiens des voisins) et la solitude me firent comme revivre l'instant. Je me revis chez Nolvine, la télévision annoncer la nouvelle et moi, qui ne réalisai pas tout de suite. Je revis cet instant, je me revis et j'entendais la voix de mon amie me convaincre que c'était comme ça, il fallait que je tourne la page. Sans grande surprise, je ne pus que m'effondrer à nouveau et sortir de moi toute cette tristesse, mêlée à une rage, à cause d'un sentiment d'impuissance. Le lendemain, je ne suis pas allée travailler, cela me valut une visite surprise de Nolvine le soir. Quand elle est arrivée, j'étais grise, comme... neutre. J'étais dans un état où j'avais ressenti tellement de choses, que c'était comme si tout à coup, j'étais devenue insensible. Mais je savais que c'était un faux sentiment, car mon esprit était si embrouillé par les idées noires que j'avais de la peine à penser. Nolvine me fit à manger, mais n'aborda pas le sujet qui fâche. Elle était juste venue me tenir compagnie, et elle faisait bien, je m'étais même dit que cela se voyait un peu qu'elle connaissait déjà tous ces sentiments...

Néanmoins, je n'avais pas encore totalement accepté la défaite. Je ne sais pas pourquoi, mais en moi je ressentais comme une chose, un sentiment, une voix, qui me disait « attends encore... attends encore un peu ». Alors j'ai attendu, et à mesure que les jours passaient, ce senti- ment s'étiolait, et l'espoir en moi s'envolait...

L'ombre des puissantsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant