Chapitre 19 - Une fin peu bienvenue

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Le dimanche qui suivit ce samedi mouvementé fut bien calme. Au début, nous redoutions de voir Carl, vu ce qu'il nous avait dit. Mais il était silencieux et a fait comme si nous ne savions rien, et qu'il n'avait rien dit. Nolvine voulut aborder le sujet, mais je l'en dissuadai.

Pourquoi?

Je ne sais pas, mais avec le recul, je crois que c'était surtout très égoïste. Je voulais me concentrer, apprendre rapidement et ne pas me laisser gêner par quoique ce soit, y compris par une personne qui aspirait à la mort. De plus, j'avais beau l'avoir laissé me soigner, je n'avais toujours pas une confiance complète en lui.

C'est triste, mais c'est comme ça.

La journée fut donc banale. Entraînement, repas sous un silence pesant, apprentissage des soins... En fin de journée, Nolvine et moi devions repartir chez nous, afin de reprendre le travail. Carl nous informa qu'il avait contacté un chasseur de prime pour suivre Steve, et que ce dernier nous ferait un rapport de ses moindres faits et gestes dans huit mois. D'ici là, on allait s'entraîner, préparer divers plans d'attaque, définir clairement le but et également étudier l'environnement de Steve : Le monde des puissants; pour ne pas le citer.

Quand nous repartîmes de chez Carl, je ne pus m'empêcher de remarquer que Nolvine était un peu triste. Pour être franche, je l'étais un peu également. On se sentait mal de le laisser seul, et on ne voulait pas l'être non plus. De plus, on n'avait aucune envie de reprendre le travail et pas vraiment d'idée sur ce que l'on pouvait faire après celui-ci. Pour tout dire, nous étions moroses.

Quand je me retrouvai seule chez moi, je me surpris à ressentir la solitude comme un poids lourd à porter. J'avais envie de reprendre les entraînements, d'être loin de mon village, des gens, près de Nolvine et vers Carl qui, malgré ma méfiance, arrivait à me faire me sentir en sécurité. Nolvine était triste et s'inquiétait beaucoup pour Carl, elle m'en avait parlé une bonne partie du trajet. Je crois qu'elle s'était un peu attachée à lui, ce qui était tout à fait compréhensible, au vu de son attitude protectrice envers nous. Pour moi, il restait un parfait inconnu, et je considérai mon cœur comme trop détruit pour pouvoir me lier d'amitié avec un homme. Peut-être que vous vous dites que j'exagère? Essayez de vous mettre à ma place.

Steve ne m'a pas seulement frappée avec une pierre, violée et laissée pour morte, tout ça pour un pari. Avant ça on sortait ensemble, notre relation a duré un moment et j'étais amoureuse de lui. Il était autant mon petit ami que mon meilleur ami. Il a tout détruit, absolument tout. Et pourquoi? Pour rien. Car dès le départ, je n'étais qu'un jouet pour lui.

En y repensant... j'étais effectivement un jouet, une simple chose, un pari...

Et si sa famille faisait déjà partie du monde des puissants, et que c'était pour ça qu'il avait acquis un tel poste et une grande notoriété aussi rapidement? Pour qui était-il la vitrine? Je me souviens de certains moments où sa mère lui chuchotait des choses à l'oreille, et qu'ensuite il me regardait bizarrement. Je me souviens aussi que son père lui disait parfois, qu'il « aurait un avenir parmi les grands ». Je pensais à l'époque qu'il allait simplement hériter de la fortune de ses parents, ou d'un bien immobilier. Mais en fait, ils ne lui parlaient pas de ça. Je me sentais débile.

J'appelai Carl pour lui parler de tout ça, et il me répondit qu'il en prenait bonne note, et que j'avais bien fait de le prévenir, car cela nécessitait plus de prudence de notre part. Steve avait déjà une place préparée et avait été formé pour l'obtenir. Il ne restait plus qu'à trouver son rôle exact et il me dit qu'il avait une idée, mais préférait ne pas m'en parler pour l'instant, pas avant d'avoir une preuve. Il allait en discuter avec le chasseur de prime. J'en profitai pour lui demander qui c'était. «

- Cela a une importance pour vous?

- C'est juste par curiosité.

- C'est Zéxane. Je l'ai aidé une fois, et elle m'a dit que si un jour j'avais besoin de ses services, elle me ferait un prix. Quand je lui ai dit que je m'étais débarrassé des jumeaux, elle a accepté de baisser encore ses tarifs.

- Trop cool!

- Pourquoi?

- Oh rien... Zéxane nous a sauvé la vie une fois, à Nolvine et moi, face à un dégénéré qui poignardait des gens sans raison. Elle est un peu une idole pour moi.

- Je comprends mieux.

- Combien lui devra-t-on pour son service?

- Étant donné qu'elle ne fait qu'observer et prendre des notes, cela ne sera pas cher. Mais le tarif peut varier en fonction du danger, et Steve est très difficile à observer. Je vous conseille de commencer à économiser. Cela sera cinquante mille francs.

- QUOI? Mais c'est super cher!

- En même temps, on lui demande de suivre un homme très haut placé et trempant dans quelque chose de sombre. Zéxane prend beaucoup de risques.

- On ne peut pas le faire nous-même?

- Non, nous n'avons pas ses compétences, et cela nous fait gagner du temps. Et je doute que vous soyez prête à revoir Steve en chair et en os. Nolvine m'a dit que cela vous secouait beaucoup de le voir à la télévision.

- C'est vrai... mais je crois que je n'aurais jamais cette somme.

- Et avec l'aide de Nolvine?

- Non plus... on est cadre et on gagne bien notre vie, mais pas assez pour économiser sur huit mois un montant pareil.

- Je mettrais aussi la main à la pâte alors. Je peux mettre dix mille francs.

- Non vous...

- J'insiste, Stélina.

- Merci... »

J'ignore pourquoi il avait voulu participer aussi, mais après avoir raccroché, j'avoue avoir un peu souri. Il était vraiment gentil. Avait-il une revanche à prendre? Je commençais à me demander si sa vengeance ne lui avait pas laissé un arrière-gout d'échec.

En fait, je savais qu'il avait à la fois réussi et échoué, car il nous l'avait dit, mais je me demandais si de manière générale, il considérait qu'il avait vraiment réussi. Dans tous les cas, j'avais besoin de lui, car il avait une bien meilleure connaissance que moi de ce qui entourait Steve, et j'avais besoin de son expertise. De plus, ses entraînements étaient utiles. La semaine reprit son cours sans qu'il y ait quelque chose de particulier à signaler. Tous les midis, Nolvine et moi discutions du week-end à venir, et nous partagions ensemble le sentiment de vide que nous ressentions depuis la fin du week-end précédent. Vendredi, c'est donc toutes joyeuses que nous ayons quitté le travail pour reprendre la route en direction de l'oberland bernois. On était contente de retourner s'entraîner, d'entendre Carl nous parler du monde des puissants, et de pouvoir dormir l'une près de l'autre, dans une petite cabane perdue dans la nature. Qui l'eût cru?

L'ombre des puissantsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant