Prologue

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J'ouvris les paupières et me réveillai en sursaut. Une odeur de brûlé emplissait mes narines. D'un bond, je sautai du lit à baldaquin dans lequel je me trouvais et me précipitai à la fenêtre. À travers le verre irrégulier, l'horreur s'étendait sous mes yeux : le village en contrebas du château brûlait. De hautes flammes luisaient dans la nuit, léchaient la petite église et toute la partie nord du bourg. Celle où il vivait.

Je plongeai sur la lourde porte en bois, l'ouvris puis me jetai dans le couloir. Je lançai un dernier regard vers la porte entrouverte au fond de ma chambre, puis m'enfonçai dans les ténèbres.

Pieds nus, je dévalai l'étroit escalier en pierre glacée, ma longue chemise de nuit blanche me battant les chevilles. Le hall d'entrée du château était faiblement éclairé par quelques bougies de cire. Des cris, des ordres, le sombre bruit des armures en métal qui s'entrechoquaient me parvenait de la cour. Je me précipitai vers la haute porte, pris entre mes mains les froides poignées en fer forgé et tentai de l'ouvrir. En vain, elle devait être fermée de l'extérieur. Paniquée, je frappai le lourd battant de mes poings en hurlant.

Personne ne vint m'ouvrir.

Je fis volte-face et me dirigeai vers l'arrière du château, le quartier des domestiques. Je croisai quelques femmes de chambre qui se plaquèrent au mur à mon passage, en me suppliant de ne pas sortir, de rester à l'abri. Ne prêtant aucune attention à leurs paroles, je débouchai dans la cuisine, où un garde armé protégeait la porte.


— Madame, retournez dans votre chambre, ordonna-t-il en écarquillant les yeux devant ma tenue qui laissait entrevoir mes courbes.


Je me précipitai vers lui et envoyai mon coude percuter son visage. Son nez se brisa dans un sinistre craquement, et il chancela, m'accordant quelques précieuses secondes qui me suffirent pour déverrouiller la serrure et me précipiter à travers le verger.

Malgré la nuit sans lune, ma vue était nette, aiguisée. En quelques secondes, l'herbe humide recouvrit mes pieds de rosée. Le vent battait mes cheveux sur mes épaules, l'angoisse me gagnait. Des cendres dansaient devant mes yeux, comme si de la neige tombait, alors que l'automne venait tout juste de débuter.

D'un geste souple, je passai ma chemise de nuit par-dessus mes épaules et me transformai.

Alors que mes pattes de loups heurtèrent le sol, l'odeur âcre de brûler saisit mes narines. Plus rapide que sous ma forme humaine, je forçai sur mes membres et quittai les arbres fruitiers pour descendre la colline. La lumière avait changé. J'étais encore loin du brasier, mais elle avait pris une teinte étrangement rouge, me faisant redouter la violence de l'incendie. Un hurlement strident déchira la nuit et mes poils se hérissèrent sur ma colonne vertébrale. Mon cœur battait à tout rompre, arriverai-je à temps ?

Je n'étais plus qu'à quelques mètres de l'entrée du village. Je bifurquai vers la ferme bovine, me faufilai sous la clôture et me retransformai dans le jardin. Un loup allait forcément attirer l'attention, il fallait que je reste discrète. Je saisis une chemise qui séchait sur une corde, l'enfilai, nouai un pantalon autour de ma taille et continuai ma course alors que des cris résonnaient à mes oreilles. La fumée était épaisse à l'entrée du village, et je posai mon bras sur mon nez pour me protéger. Je fis le tour de la bâtisse, et l'horreur me submergea. Des corps. Du sang. Des femmes, des hommes, et même des enfants. Je m'arrêtai brusquement et levai les yeux. Au fond de la rue, une créature ailée dévorait les entrailles d'un cadavre. Dans un éclair de lucidité, je titubai jusqu'à une ruelle adjacente, appuyai ma main sur un mur et vomit mon repas de la veille. Des villageois passèrent derrière moi en hurlant, et ne me remarquèrent même pas. Mes yeux me brûlaient, l'odeur de mort mêlée à la peur des habitants me vida l'estomac encore une fois. Mon souffle était court, saccadé. Je me redressai, et repris contenance. Il fallait que je le retrouve.

Je longeai le mur de la ruelle pour contourner la créature. Un nouveau cri retentit, et je levai les yeux au ciel. D'autres monstres volaient au-dessus des maisons, projetant l'ombre sinistre de leurs ailes translucides. Je me cachai du mieux que je pouvais pour les éviter, et continuai ma course à travers la ville. Me forçant à faire abstraction des corps qui jonchaient la rue, je restai fixée sur mon objectif. Je passai en trombe sur la place principale, bifurquai sur la droite et emportée par mon élan, percutai l'angle du mur. Je me redressai et continuai ma course.

La chaleur était étouffante dans cette partie de la ville et la fumée ralentissait ma progression. J'étais presque arrivée. Un bâtiment en flamme s'écroula devant moi dans un souffle brûlant, et me bloqua la rue. Si je voulais contourner l'obstacle, je devais rebrousser chemin pour reprendre une des rues parallèles. Mais je n'en avais plus le temps.

J'ouvris la première porte qui se présenta à moi dans l'espoir de pouvoir traverser la maison pour arriver dans la rue arrière. Je la refermai en toussotant et mes yeux mirent quelques secondes à s'habituer à l'obscurité. Une ombre ailée passa devant la fenêtre et je me jetai au sol juste à temps.

Le calme de la bâtisse contrastait avec l'agitation extérieure. Les issues étant closes, la fumée n'avait pas encore pénétré ce bâtiment. Je m'avançai vers la pièce du fond, mais un bruit étrange me fit lever les yeux vers le plafond. Quelque chose marchait, lentement, et ses griffes raclaient le parquet. Grâce à mes sens développés, je perçus un souffle rauque, sinistre. La chair de poule recouvrit ma peau, et je retins ma respiration. Aussi légèrement que je le pouvais, je fis quelques pas vers le fond de la maison. Soudainement, les lattes craquèrent sous mon poids. Un cri strident me vrilla les tympans alors que la créature se lançait à ma poursuite dans un vacarme effroyable. J'étais rapide et débouchai dans la rue avant qu'elle n'ait atteint le rez-de-chaussée. Je me frayai un passage à travers la foule paniquée qui tentait de rejoindre l'enceinte du château. Le sentiment de détresse qui me parvenait de leurs esprits me percuta de plein fouet, et ma vue se brouilla. Un homme me heurta violemment en essayant de fuir, alors que des hurlements me confirmèrent que la créature avait elle aussi rejoint la rue, et trouvé son prochain repas.

Enfin, alors que je débouchai près de l'église, je reconnus difficilement la silhouette de mon quartier natal qui n'était plus de flamme, fumée et désolation. Je me mis à l'abri un instant sous un grand chêne, le temps de laisser passer une créature qui hurlait dans le ciel. Remontant la rue pavée, je traversai le petit cimetière et débouchai devant sa maison d'enfance.

Je pris quelques secondes pour flairer son odeur, contournai la bâtisse et le trouvai là, allongé sur le sol et baignant dans son propre sang.

Ici - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant