11 - Survivre

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Si je tombe, c'est fini. Elle voudrait que je fasse quoi là. Que je descende ? C'est impossible ! Elle me parle de premier palier, mais je suis censé savoir de quoi il s'agit ? Où il se trouve ?

Non, elle me fait marcher. Elle doit bien être quelque part. Ça doit être une blague. Elle veut me faire comprendre quelque chose. Oui c'est ça. C'est sûrement qu'elle veut que je sache ce que c'est que le danger. Obligé. Je me suis emporté, et elle me punit. J'ai dû dire un truc qu'il ne fallait pas.

C'est en ruminant qu'il fait les cents pas, et parle à voix haute. Il s'agite. Fait de grands gestes. Sa voix résonne dans le gouffre.

— J'AI COMPRIS MAINTENANT ! REVIENS !

Aucune réponse... Pire, en dessous, le lézard baveux est de retour. Mangeant les os de poissons. Cela fait maintenant quatre heures que le jeune homme est réveillé. Quatre heures qu'il est affolé par la situation. Quatre heures, — qu'il continue à y croire...

Personne n'abandonne un enfant, non ?

Son ventre gargouille. La faim commence à être douloureuse. Il décide alors d'économiser ses forces. Il s'allonge, patiente, puis s'impatiente. Il se lève, marche, se parle à lui-même. Cela, jusqu'à ce que le manque de nutriments réduisent ses forces.

Il ne tient plus. Son corps se laisse porter au sol, et laisse le sommeil l'emporter, —loin de ce cauchemar...

Il se réveille soudain. Son estomac crie à nouveau. Il se sent terriblement agacé. Énervé. La salive lui monte à la bouche, et il n'a qu'une envie, c'est de sauter la tête dans l'eau pour y récupérer un poisson. Quitte à le choper à pleine dent.

Par réflexe, il cherche sa sauveuse dans un dernier éclat d'espoir. Mais il a beau chercher partout, il n'y a rien, ni personne.

Elle m'a vraiment laissé là...

Son instinct le pousse à s'approcher du précipice. De regarder, d'observer rapidement ce qui l'entoure. Pour que le chemin se trouve, se dessine. Qu'il puisse descendre, et manger. Il n'a que ça en tête. Une impulsion le pousse à y aller.

Avant de partir, il pense à prendre son sac, mais le livre s'est retrouvé par terre. Alors qu'il le ramasse pour le mettre dans le sac, il remarque qu'il est ouvert. La page indique la marche à suivre pour escalader. Il croit rêver. Est-ce elle, quelque part, qui est revenue pendant qu'il dormait ? Se joue-t-elle de lui ?

Il passe par des dizaines d'émotions. Entre soulagement, inquiétude, doute et colère. C'est la naïveté qui prend le dessus. Pour lui, ça ne peut pas être une coïncidence, il en est persuadé. Elle est là, elle le suit du regard, quelque part.

Survient alors, un excès de confiance. Extrême. Qui le mène au bord. Le sac sur son dos, il dévoile un sourire ; un tantinet nerveux.

Je vais lui montrer ce que je sais faire...

Néanmoins, il n'a jamais fait ça. Ce qui est normal, personne ne laisse un enfant sans protection faire de l'escalade. Il n'est même pas en rappel. Sa mère la guerrière aurait pu finir par lui imposer cet entraînement. À cette pensée il ricane.

Il se place finalement en tailleur. Lisant avec attention les pages du guide. Si c'était un test, autant garder ses chances de le réussir, non ?

L'avantage du petit, c'est que sa mémoire est exceptionnelle. Elle est eidétique. Cela veut dire, qu'il enregistre de grandes quantités d'informations, d'une précision d'orfèvre. C'est une encyclopédie sur pattes.

Quelques minutes suffisent. Il ferme le livre. S'approche du bord. Il s'accroche aux extrémités. Puis laisse un pied glisser, pour tenter de trouver un appui. Lorsqu'il sent la roche être ferme, il y va. Il réitère de l'autre.

Chaque fois qu'il glisse lentement sur la paroi, son cœur accélère. Alors pour éviter de stresser, il récite le vocabulaire du guide.

- Les "bacs" sont de grandes prises. Elles sont idéales, on peut même y mettre ses deux mains...

Il prends le temps de ressentir. Tâtonner plusieurs fois. Il balade ses pieds le long de la paroi. Ses jambes ressentent le poids de la gravité. Sa pression, son attraction. Une douleur pèse sur lui, autant qu'un vertige. Mais il décide de continuer. Il s'assure toujours que sa prise est bonne. Dès qu'elle l'est, il hésite. Il doute. Il se rappelle ce qu'il est en train de faire. Mais se souvient de ce qu'il lui reste à accomplir.

Dans un monde comme ça, si je ne suis même pas capable de faire ça, je pourrai rien faire pour les aider. De toute façon s'il y a quelque chose, elle sera là pour me rattraper.

Il est face à la roche, ce qui l'empêche de regarder en bas. Mais il est maintenant suspendu au vide. Chaque accroche est un soulagement. Une infime réussite est une fête. Une victoire. Un petit pas pour l'homme, un grand pas pour le garçon.

Car personne n'aurait pu imaginer le sort de cet enfant. Qui est, du haut de ses dix ans, en train de désescalader. Sans équipements. Et contre toute attente, il y arrive. Pas à pas. Jusqu'à ce que son pied glisse. Il chute. Un ouragan l'agresse. Sa vue s'allonge. À toute vitesse. La gravité fait pression. Le poussant au fond. Très vite. Le sol se retrouve à quelques mètres.

C'est alors qu'il reçoit un coup au dos. Soudain trempé, humide. Ça sent la bave. Ça s'accroche. C'est visqueux. Soudain soulevé, malmené. À droite, à gauche. Emporté, tiré, porté dans les airs. Le monstre l'attrape et le ramène à lui. Sa grande gueule s'ouvre sur ses crocs. Son grognement strident le fige dans la peur. Au-dessus du fleuve, le garçon se débat. D'un coup d'épaule. L'adrénaline l'amène à s'arracher de là. Cette immondice laisse échapper sa proie. Qui tombe. Brusquement. Brutalement. À s'écraser dans l'eau, engouffré en eaux profondes.

À peine a-t-il retenu sa respiration qu'il se retrouve là. Arwan ouvre les yeux. Il le voit. Plus loin. Par la faible luminosité émanant d'un espèce de corail luminescent. Ce serpent aux multiples pattes. Qui se rapproche. Cet immondice bascule de droite à gauche.

L'enfant nage. De ses dernières forces. Le dîner qu'il est étire, broie, scinde l'eau par ses gestes. Mais c'est lent. Si lent, trop lent. Son corps d'enfant s'épuise. Jusqu'à ce que ses membres ne répondent plus. Il s'arrête d'un coup. Lorsqu'il croit sentir le souffle de la bête. Sa tête pivote et se trouve dans l'effroi. Puisque derrière lui, le monstre a la gueule ouverte. Paralysé, sa petite vie réapparaît d'un flash.

Il y voit son oncle qui le bordait, lui racontait des histoires épiques. Et sa mère qui lui apprenait à faire du vélo, et à monter à cheval. Leurs blagues, leurs sourires, cela lui réchauffait le cœur. Il aurait voulu les retrouver, simplement pour leur dire qu'il les aiment. Au moins une dernière fois...

D'une ombre. D'un éclair. Le mille-pattes est ravagé par plus gros. Le liquide est soudain secoué, bouleversé. Au point d'en être poussé plus loin.

Il n'a rien vu passé. C'était énorme. Gigantesque. Un prédateur plus grand que nature l'a emporté. Il revient à lui. Se rendant compte de ce que cela veut dire. Il en a pour combien de temps avant qu'il revienne ? Et s'il n'était pas contre prendre un dessert ? À ces pensées il se hâte à remonter vers la lumière.

Vite. Plus vite !

Il s'en approche. De plus en plus haut. La L'intensité de la flamme augmente. Son éclat prend forme. Presque à portée. Sa tête sort de l'eau en toussant. Ça y est, il y est enfin. Il respire. Très fortement. Il essaie de trouver un appui, une accroche. La lanterne éclaire un tant soit peu la surface. C'est pourquoi il peine. C'est sombre, trop sombre pour percevoir ses alentours correctement. Mais il se bat pour survivre.

Il finit par trouver un rocher. Il s'y accroche, avant de remonter. Ça glisse, il retombe, prend la tasse. Sa toux empire. Il est si proche de sortir de là. Alors il y va bras après bras. Rampant pour essayer de soulever son corps. Alourdi par le poids de l'eau qui s'écoule à sa sortie.

Il y est presque. Il n'y a plus que sa dernière jambe à soulever, toujours immergée. La cuisse est douloureuse, mais parvient à s'échapper hors de l'eau. Plus qu'une cheville. Aussitôt attrapée. Une force l'emporte. Au fond. Son corps est projeté vers les abysses...

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Prochain chapitre : Le nid.

Arwan & JackOù les histoires vivent. Découvrez maintenant