34 - Démon, partie I

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Le petit Jack dans son cabanon, la nuit de ses onze ans.

Au cours de la pénombre menée par les des chants de grillons, un petit être tout extravagant dort d'un seul oeil, stoïque, sans attirer les soupçons de ce qu'il compte faire.

Il attend de pieds fermes dans son petit lit en bois par le petit angle de la maisonnette, qui n'avait qu'une seule pièce. Il s'impatiente à l'idée d'arriver à l'heure où il pourrait enfin retrouver son ensemble de lettres nouvelles, qui danseraient sûrement dans la brume tant ses yeux devraient lutter contre la fatigue...

Il y a toujours la place, entre deux ronflements, pour de petits instants de lecture en cachette accompagnés de textes passionnants.

Cette fois, à peine a-t-il posé son regard sur une mini-lanterne qu'une silhouette s'est levée. Puis un sac, un manteau, puis des souliers qui s'enfilent aux pieds.

Mais où... s'apprêtait-il à dire à voix haute.

Mère doit avoir quelque chose à faire...

Quelque chose ne va pas, il le sent mais préfère l'ignorer, tant il était impossible que ses peurs deviennent réalité.

Sa meilleure option sur l'instant, n'est autre que de se laisser bercer par le sable de Morphée, comme le voyage vers un refuge paisible...

***

- JACK, JACK ! hurle son père en le secouant sur son lit.

Une douleur du cœur implose en lui, le réveille d'un coup, accélère rythme cardiaque. Entre fatigue et stress, le garçon tremble et s'étrangle :

- Quoi, qu'est ce que..

- TA MÈRE. Elle est où ? Tu l'as vu partir, quelle direction ?

- Dans la nuit elle est...

- Pardon ?! Et tu l'as laissé partir ?! beugle-t-il en postillons de rage.

- Je pensais que- sanglotait-il.

- NON. NON ! Tu ne pensais pas.

Il devient rouge, agrippe la table qui se brise par sa simple prise, puis casse les moindres choses environnantes. Il se tire les cheveux, regarde d'un mauvais oeil son fils jusqu'à faire les cents pas pour se calmer. Il pointe alors son doigt vers lui d'un ton accusateur pour lui dire :

- Maintenant tu fais ce que je te dis à la seconde où je te le dis : on part la chercher.

***

-

Attends... Attends-moi tu vas trop vite ! se plaint le petit moussaillon, ignoré par son paternel qui accélère le rythme.

Il y a bien cinq mètres qui les séparent désormais, le matelot en devenir ne voit que la coiffure noire de son père, lui faisant de l'ombre.

Elle était tissée en longueur, et sans les petites étoiles qui rayonnaient par une lumière d'or au sein de ses cheveux comme par magie. Il n'aurait jamais pu deviner les boucles sans cela, tant le néant faisait place sur son crâne...

La haute stature qu'incarne son paternel s'arrête brusquement, se positionne lentement en biais pour communiquer sans mots. Son corps forme un signe. Son bras trace un trait horizontal, qu'il termine par plier et déplier ses doigts trois fois.

Cela fait partie des nombreuses mécanique de son " jeu " qu'il sait depuis un moment comme étant celle de sa survie, ainsi que celle de sa famille. Il a toujours su qu'ils faisaient de leur mieux pour cacher, ou amoindrir les dangers du monde et ses conséquences négatives, mais cela permettait de créer un bouclier, la force de pouvoir se dresser contre l'ennemi...

Ce geste voulait dire " Lentement, rejoins moi par trois petits pas. " C'était plutôt utile et précis, et amusant lorsque l'on pense que c'est un jeu, un peu plus stressant pour ce jeune homme qui comprend être en territoire ennemi.

La preuve étant : au virage d'un sentier forestier, entre les arbres et les feuilles, réside une grande sculpture à corne. C'est un visage féminin, recouvert partiellement de lierre fait de pierre craquelé, où s'échappe Une fumée des fissures...

Un flash surprend d'un coup, aveuglant. Leur bras s'élancent pour se protéger de cette explosion visuelle. Lorsqu'ils rouvrent les yeux, une personne est apparue près de la statue. C'est un homme à la chevelure aussi brillante que celle de son père, mais la sienne est blonde, longue et lisse. Elle brille par saccade d'une lueur dorée, comme un liquide qui circulerait au sein même des cheveux.

Cet homme, ou qui que ce soit, est ailé. De quoi choquer le fils qui ne peut pas s'empêcher d'écrire à ce sujet, les étoiles pleins les yeux. Il décrit tout en détail, de leur capacité à venir en un éclair, de leur lumière enchanteresse, à leur horribles ailes déplumées, rougeoyante et laides à regarder.

Survient une voix. Puissante. Sombre. Monstrueusement profonde et grave. Elle s'immisce dans leurs oreilles, lentement, sinueusement par une tonalité, une sonorité serpentine et animale. Elle vient de l'inconnu qui s'est approché de la pierre pour lui parler.

À la fin de sa phrase, les paupières de la statue s'ouvrent. Ses yeux blessent d'un reflet de lave en fusion. La sculpture roule soudain sur le côté pour ouvrir un passage vers un très large tunnel, où siègent un cours d'eau.

L'ennemi s'en approche, se baigne et s'enfonce dans l'eau qui change soudainement de couleur pour prendre le brillant de ses cheveux. D'un coup, la statue revient à sa place...

Le gnome et son protecteur sont aux portes d'un repaire. Son père ne manque pas de lui dire les directives d'un chuchotis :

- Nous y sommes. Surtout, quoi qu'il arrive, reste près de moi et fait moi confiance, même si c'est étrange, on en parlera plus tard, d'accord ?

- Je ne vois pas ce que tu-

- Promets-moi.

Le regard de son paternel semble anxieux pour la première fois. Il a toujours eu l'image d'un papa fier et impassible, celui qui n'a pas vraiment d'émotions ou du moins, pas celles qui font pleurer. Pourtant la peur l'atteint aussi, et se décuple dans son coeur, car si la figure, le pilier du courage se laisse prendre par la terreur, l'effroi est soudainement libre de s'emparer des coeurs...

Pris par la main, le bras du petit tremble à grand coup. Presque comme des convulsions. Son père le sent, mais il ne rassure pas, concentré, tout aussi crispé. Le monde semble tourner au ralenti pour eux. Pour lui, géniteur, le regard de son fils est l'élément le plus important. Celui qui aime veut aussi donner l'exemple, espérer voir la fierté, l'amour de son enfant, lui plaire et se sentir important pour lui, qu'il puisse le voir heureux grâce à lui.

C'est pour ça que cela fait bien cinq minutes qu'il est là, sans bouger, pétrifié par ce qu'il s'apprête à faire. Il regarde son fils à plusieurs reprises, à chaque fois pour croiser son regard qu'il fuit très vite, la honte et la culpabilité qui le ronge avant l'heure. Puis il se décide à parler.

- Yorn Bargne Orne Karg Garx. frappe-t-il d'un jargon démoniaque.

Chaque mot est imposant. Chaque son pèse le poids d'un millier d'échos, comme d'innombrables fausses notes faisant concert...

Jack ne peut pas bouger. Il n'y arrive pas. Son père lâche sa main, pleure et a beau le secouer dans tous les sens, il n'y a rien à faire...



Arwan & JackOù les histoires vivent. Découvrez maintenant