38 - L'héritier.

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Ne pas se défendre, serait-il la même chose que de s'infliger soi-même ses souffrances ? Je dirai qu'il faut rester juste. Mais l'équilibre rappelons-le, est un éternel ajustement.

Le capitaine en devenir s'accorde déjà à rester conscient, rester debout devant des forces qui le surpasse de loin. Reparti en direction de la pièce où il était, c'est au travers du brouillard, loin devant la silhouette géante qui n'est autre que l'ombre d'une des statues : ils bougent comme par magie, dirigé par un pouvoir bien complexe...

Le jeune homme ne peut qu'être impressionné par cette large pièce. C'est une arcade entourée par des grands piliers. Il y a des portes, parfois camouflés, parfois ouvertes vers des lieux tout aussi obscurs. Elles sont toutes différentes les unes des autres, mais rassemblés autour d'une couleur unie : le rouge. Il y a des motifs, des tracées dorées qui structurent les poignées, les clés, les serrures et les cadres de portes, mais jamais au centre.

Plus loin, c'est cet étrange brouillard, seul moyen de parvenir à se rapprocher de ses tambours qui s'affolent, qui accélèrent comme si le temps presse. Jack se met à courir car il imagine que c'est un code, il suit à l'oreille les directions aléatoires, perturbantes, confus de penser qu'il tourne en rond depuis quelques secondes mais quelqu'un lui prend la main, le tire et le voilà qu'il glisse sur une longue allée de vitrail, comme un pingouin.

Il lève les yeux. On l'observe. On le regarde de haut. Très haut. Ils déversent une ombre oppressante, ces masses spacieuses et titanesques, d'une ampleur planétaire qui se pavane lentement : quatre immense entité encapuchonné le fixe. Le plafond est à peine visible, comme ces êtres comparés aux montagnes. Aussi large qu'une maison, leur corps est bien en mouvement. Leur main, d'une ampleur stratosphérique, déplace le vent par le simple remous de leur doigts. Le garçon ne peut que s'incliner par peur, non pas par loyauté...

Il est à genoux, le regard peine à se porter vers ces dieux qui gravitent autour de lui, mais il écoute clairement leur voix qui s'impose en lui comme s'ils s'adressaient directement à sa conscience.

Une première voix caverneuse s'annonce :

- Un Néphilim, pour être Prince ? Je m'y oppose. Aragorn, c'est votre choix de l'amener, mais il ne doit en aucun cas nous atteindre, notre peuple en pâtirai si la race ennemi nous dirigeait.

Le démoniaque à forme de corneille déploie ses longues ailes, laisse filer les plumes noires qui flottent au dessus de chacune des têtes, puis hausse le ton.

- N'avons-nous pas convenu qu'il n'y aurait plus de morale lorsque nous augmenterons nos forces ? Vous ralentissez les projets de nos seigneurs, et ce, pour de simples traditions ! Considérez vous le nombre de défaites que nous avons ? Depuis combien de siècle nous nous terrons, de peur que les Edeniens nous anéantissent ? Ce jeune homme a sûrement le meilleur potentiel, si tant est qu'il sache le maîtriser. Laissons parler nos coutumes : il sera choisi, ou non.

Les bruits de leurs exclamations pèse autant que leur aura s'exprime. Leur puissance démentielle a le don de provoquer le vertige. Le jeune Jack se force à respirer, à éloigner la douleur de ses pensées, lui qui semble comprimé, aplatis par une force invisible. La délibération prend fin en quelques secondes, bien qu'il le ressente comme une éternité.

C'est Aragorn qui lui annonce la couleur :

- Tu monteras la pyramide, prouveras ta valeur et si les seigneurs le souhaite, puissent ils faire grâce de leur héritage.

Il ne peut dire mot. A la place, il se relève et s'incline à nouveau, le dos presque bloqué en le faisant ; bien qu'il soit heureux d'être délivré de ce fourneau dans lequel il était.

Il y était enfin, les marches du pouvoir se dessinent par delà ces monstres. Cela n'a jamais été si clair lorsqu'il traverse la porte en arc derrière eux : des ruines à perte de vue s'écroulent parfois entre les marches d'un très large escalier, menant à une tout aussi sombre entrée où les autres prétendants l'attendent de pied ferme.

Il croit entendre des tambours. Des tintements de lames s'entrechoquent. Il commence à y avoir des secousses, des poids semblent s'écraser au loin, cela fait trembler la terre. Il approche alors. De plus en plus vite tandis que les marches s'effondrent. Il saute et s'accroche aux ruines qui s'effritent, tout se démembre, se détruit et coule dans une gorge sans fin, manque de tomber une fois, deux, étend son corps à la dernière marche, sent son corps subir le choc de gravité qui l'entraîne vers les abysses mais réussi de justesse à trouver l'appui qui se brise ; et l'enfonce dans les ténèbres...

Mais ses mains trouvent preneur. Des appuis miracles, effectués par sa main étrangement collés aux parois rocheuses. Ils avaient commencé gentiment, vu ce que l'enfer lui avait réservé jusqu'ici.

Passé l'arcade qui sert d'entrée, une immense allée couvre le moindre de ses sens. D'immenses piliers romains soutiennent un plafond peint de scènes bibliques, notamment des combats, et on est dans le thème : un attroupement de démons singuliers se battent en guerre ouverte.

Jack s'accorde un temps pour bailler, prendre sa gourde pour boire un coup mais celle-ci se retrouve projetée par une peau rouge de trois mètre et quatre bras, sûrement assez fort pour briser la roche d'une pichenette. C'est alors qu'une rage sans précédent s'impose au coeur de son système nerveux, mais la violence ? très peu pour lui. Il s'exclame alors d'un doigt agité vers lui :

- Ah non ! Tu connais le dicton : On laisse boire avant l'abattoir-

S'abat la jambe lourde du géant qu'il esquive par la souplesse de son dos vers l'arrière pour revenir droit mais c'est un nouveau choc qui suit : sur les tempes, à peine repoussé par ses mains d'instinct. Il est désormais projeté à quelques mètres sur le sol glissant. A peine a-t-il le temps de se relever qu'une une épée grossit à mesure qu'elle vient vers lui, vole, fonce juste devant ses yeux. Il se fige. Tout tourne au ralenti. Il regarde à sa gauche le mastodonte foncer vers lui en criant comme un imbécile. Plus qu'une chose à faire : il se retourne et déguerpis, zigzaguant entre les armes flottantes et les corps tombants, les explosions et les coups qui se perdent par l'élan.

Sur le plafond, des yeux invisibles le regarde et s'esclaffent devant tant de courage...

Arwan & JackOù les histoires vivent. Découvrez maintenant